Nous connaissons de mieux en mieux les organismes qui composent notre microbiote (ou flore intestinale) et leurs différents rôles. Une flore intestinale pauvre ou déséquilibrée expose à de nombreuses maladies. Avoir un microbiote sain serait donc une clé pour être en bonne santé.

Les 17° Entretiens de Nutrition de l’Institut Pasteur de Lille ont réuni en juin 2015 les meilleurs experts du microbiote intestinal (anciennement appelé « flore intestinale »). La possibilité de décrypter l’ensemble des gènes des bactéries qui le composent a ouvert la voie à de nouvelles recherches. Il s’avère que des anomalies du microbiote (une flore déséquilibrée ou moins diversifiée) sont associées à de nombreuses maladies. Les prébiotiques ou les probiotiques, dont l’ingestion régulière influence la composition du microbiote, peuvent probablement contribuer au traitement de certaines de ces pathologies.

Tous les bienfaits d’un microbiote équilibré

Les travaux récents sur le génome ont permis de mieux comprendre le rôle de ces microorganismes hébergés par notre tube digestif et particulièrement concentrés au niveau du côlon (environ 100 000 milliards répartis en quatre grandes familles : les Firmicutes, les Bacteroidetes, les Actinobacteria et les Proteobacteria).

Le microbiote intestinal facilite la maturation du système immunitaire(largement localisé au niveau intestinal). Il dégrade les fibres et les glucides non digérés par les enzymes digestives et génère ainsi des composés qui contribuent au bon état de la muqueuse intestinale. Il produit enfin desvitamines (K, B8 et B12). Mais s’il vient à se déséquilibrer, cela peut nuire à la santé.

Microbiote et obésité : des bactéries récupératrices de calories

Première pathologie concernée : l’obésité. Le microbiote des personnes obèses présente un déséquilibre entre Bacteroidetes (diminués) et Firmicutes (augmentés). Ces derniers semblent capables d’extraire davantage de calories à partir des glucides normalement indigestibles. D’après les études sur le sujet, les 30% d’individus obèses ayant un microbiote peu diversifié sont particulièrement à risque de complications dues à leur surcharge pondérale :diabète de type 2, excès de triglycérides sanguins, stéatose hépatique (foie surchargé en graisses).

Deux essais d’intervention avec des prébiotiques (des glucides assimilables à des fibres) ont permis chez des volontaires d’augmenter la satiété ou de réduire la masse grasse corporelle. Quelques autres essais avec des probiotiques (des microorganismes) ont abouti également à une perte de poids1. Il semblerait donc qu’un rééquilibrage de la flore intestinale puisse avoir un réel impact sur le surpoids.

Flore intestinale et maladie alcoolique du foie : des bactéries pro-inflammatoires

La maladie alcoolique du foie, liée comme son nom l’indique à une consommation excessive d’alcool sur une période prolongée, évolue en trois stades. D’abord, une accumulation de graisses (triglycérides formés à partir de l’alcool) se forme dans les cellules hépatiques. Ensuite, chez 20 à 30% des personnes concernées, une inflammation apparaît au niveau du foie. Enfin, le développement d’une cirrhose finit par engager le pronostic vital.

L’évolution de la maladie vers un stade sévère ne semble en fait pas corrélée uniquement à la quantité d’alcool consommée. Elle serait aussi liée à des anomalies du microbiote associées à une augmentation de la perméabilité intestinale : divers composés accèderaient ainsi facilement au foie via la veine porte (la veine qui relie le tube digestif au foie), stimulant au passage le système immunitaire et induisant l’inflammation hépatique.

« Après quelques études concluantes chez le rat ou la souris, deux essais ont été menés chez l’homme avec des probiotiques : les individus atteints d’une cirrhose alcoolique qui en ont reçu ont vu leurs fonctions hépatiques s’améliorer2« , indique Philippe Gérard, directeur de recherche à l’Inra de Jouy-en-Josas (78).

Des microorganismes délétères en cause dans le cancer colorectal

Les personnes souffrant d’un cancer colorectal présentent une modification prononcée de leur microbiote. « Certaines bactéries adhérentes à la muqueuse intestinale pourraient être des facteurs influençant la carcinogénèse(transformation d’une cellule normale en cellule cancéreuse NDLR) », explique le Pr Iradj Sobhani, gastroentérologue à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (93).

Et de rappeler que l’alimentation influence directement l’équilibre des différentes populations bactériennes présentes dans le côlon. L’effet protecteur d’un régime riche en fibres (fruits, légumes et aliments céréalierscomplets) contre le cancer du côlon pourrait ainsi s’expliquer par cet effet modulateur du microbiote3.

Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin : une pénurie de bonnes bactéries

Des modifications du microbiote sont observées chez les patients atteints de lamaladie de Crohn et de la rectocolite hémorragique : une forte diminution des Firmicutes et une augmentation importante des Proteobacteria. Ce déséquilibre pourrait favoriser la prolifération de germes toxiques. A l’inverse, certaines bactéries ayant un rôle bénéfique (par exemple une action anti-inflammatoire) seraient plus faiblement représentées chez ces personnes.

« L’implication du microbiote dans l’ensemble des maladies auto-immunes est de plus en plus discutée par les chercheurs », indique Patricia Lepage de l’Inra de Jouy-en-Josas. Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, diabète de type 1, polyarthrite rhumatoïde, lupus érythémateux, sclérose en plaque, ont en commun une composante génétique. Ces maladies sont liées à des réponses inappropriées du système immunitaire qui s’attaque à des cellules de l’organisme. « Or, certaines bactéries de la flore intestinale sont capables de moduler l’expression des différents gènes impliqués dans ces maladies4« , poursuit Patricia Lepage.

Troubles du comportement alimentaire : quand le microbiote coupe l’appétit

La nature des micro organismes constituant le microbiote a probablement un impact sur la régulation des sensations alimentaires (faim et satiété). Depuis une quinzaine d’années, les neurobiologistes ont mis en évidence le rôle de neuropeptides (de petites protéines qui agissent au niveau du système nerveux) d’origine digestive dans la régulation du comportement alimentaire : par exemple, tandis que la ghréline ouvre l’appétit, l’alpha-MSH (Melanocyte Stimulating Hormone) donne un signal de satiété.

Dès 2002, des chercheurs de l’Inserm de Rouen ont émis l’hypothèse que les troubles du comportement alimentaire seraient liés à des perturbations de ces neuropeptides. Depuis, ils ont trouvé dans le plasma de jeunes femmes anorexiques des anticorps qui neutralisent la ghréline, expliquant ainsi l’absence de sensation de faim en dépit de restrictions alimentaires drastiques.

Selon Pierre Déchelotte, directeur de recherche à l’Unité U1073 de l’Inserm à Rouen, ces anticorps seraient produits par les globules blancs situés dans le tube digestif. Ils peuvent neutraliser des peptides présents à la surface de certaines bactéries intestinales grâce à leur forte ressemblance avec les neuropeptides régulateurs de l’appétit. « Ces travaux ouvrent des perspectives de nouveaux traitements des troubles du comportement alimentaire5« , se félicite Pierre Déchelotte.

En conclusion : les progrès très récents sur le microbiote intestinal permettent de mieux appréhender les mécanismes responsables de certaines maladies. Bien qu’il reste encore beaucoup à découvrir, les chercheurs espèrent dans les années à venir améliorer le traitement de ces pathologies en modulant la composition du microbiote des patients, via un apport de prébiotiques ou de probiotiques ciblés.

Sources :

1 – Communication du Pr Karine Clément, chercheur à l’institut Cardiométabolique et Nutrition de la Pitié-Salpêtrière à Paris et directrice d’une équipe de recherche Inserm/UPMC (Université Pierre et Marie Curie), 11 juin 2015 : Microbiote et obésités, données cliniques et chirurgicales

2 – Communication de Philippe Gérard , directeur de recherche à l’Inra de Jouy-en-Josas (78), 11 juin 2015 : Microbiote, alcool et foie

3 – Communication du Pr Iradj Sobhani, gastroentérologue à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil (93), 11 juin 2015 : Cancer colorectal et microbiote intestinal

4 – Communication de Patricia Lepage, Inra de Jouy-en-Josas (78), 11 juin 2015 : Le microbiote a-t-il un rôle dans les maladies auto-immunes ?

5 – Communication de Pierre Déchelotte, directeur de recherche à l’unité U1073 de l’Inserm à Rouen, 11 juin 2015 : Anorexie mentale, troubles du comportement alimentaire : y a-t-il quelque chose du côté du microbiote ?