Tout au long des XVIIIe et XIXe siècles, on a continué de penser que le rouge était réservé aux filles de mauvaise vie et aux actrices, et pour mieux dissuader les femmes de cet usage, la science affirmait que le rouge était une couleur nocive pour la peau. La réputation sulfureuse du rouge à lèvres a duré jusqu’à ce qu’à l’arrivée de marques de cosmétiques à la fin du XIXe siècle, l’intérêt industriel prévale sur la morale, c’était dorénavant une nouvelle source de revenus, le mal était moindre pour les mâles. Au point que dans les années 1960, ce sont les femmes qui ne peignaient pas leur bouche qui étaient montrées du doigt, on les accusait de maladies mentales ou de lesbianisme.
Mais cette réputation sulfureuse n’était pas sans fondement : cette pratique ancestrale des femmes a une signification sexuelle précise, elle correspond au rouge intense que prennent grandes et petites lèvres (qui encadrent l’entrée du vagin) lorsqu’une femme est excitée. Et lorsque les hommes censurent le rouge des lèvres, ce qu’ils disent vraiment, c’est qu’ils s’emportent contre le désir sexuel des femmes.
Les pays à la pointe en matière de parité ne font guère mieux que les pays du Sud, qui sont le berceau du patriarcat. Le Danemark vient de lancer à la télévision une téléréalité particulièrement sexiste. Deux hommes assis voient défiler une à une des femmes nues sous des peignoirs. Elles se déshabillent et le présentateur et son invité critiquent le physique de la femme qui se tient nue devant eux. Selon le présentateur, il rend service aux femmes « car leur corps ont soif de mots masculins ». Les critiques ont fusé de toutes parts, mais le présentateur, encore à l’antenne pour l’instant, n’en démord pas : « L’ingratitude est la seule chose qui peut faire fuir les génies de notre pays. Souvenez-vous, je vous donne quelque chose que vous n’avez jamais vu auparavant. Ne mordez pas la main qui vous nourrit. » Attaquer le corps de la femme, c’est avant tout trouver une excuse en cas de défaillance sexuelle : si l’érection ne vient pas, on peut en imputer la faute à l’autre. Or, en période de crise, certains hommes inquiets se sentent moins vigoureux.
À défaut de pouvoir un jour calmer la sempiternelle angoisse masculine quant à l’érection et à la capacité de « performer », on peut rêver de parité sous la forme d’une émission qui passerait en revue les faiblesses du corps masculin, ni plus ni moins nombreuses que chez la femme. Et se demander aussi pendant combien de siècles encore la femme, magnanime, continuera à apaiser le doute des hommes quel que soit le prix à payer, comme s’avilir en se laissant décortiquer nue sur la place publique. Se défendre est pourtant à portée de mots…