Avoir peur de le perdre
Aimer, c’est avoir peur. Tout le temps. Freud, dans Malaise dans la civilisation , l’explique ainsi : nous devenons dépendants parce qu’il faudra que l’autre nous soutienne toujours dans l’existence. D’où la peur de le perdre. Explication lumineuse de Monique Schneider, philosophe et psychanalyste : « L’amour implique une prise de risque. Il suscite un phénomène de vertige, parfois même de rejet : on peut casser l’amour parce que l’on en a trop peur, le saboter tout en essayant de se confier, réduire son importance en s’attachant à une activité où tout repose sur soi-même. Tout cela revient à se protéger du pouvoir exorbitant de l’autre sur nous. »
D’autant, souligne encore Freud, qu’Éros et Thanatos vont de pair. Je t’aime, je te détruis. Éros, c’est notre désir de nous lier amoureusement les uns aux autres?; Thanatos, c’est la pulsion de mort qui nous pousse à rompre le lien pour que notre moi reste tout-puissant. L’amour poussant à sortir de soi, le moi le combat. « C’est difficile de renoncer à soi, décrypte le psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz. On sent bien quand on aime que quelque chose nous tiraille.
L’amour touche à notre être, à ce que nous sommes au monde. Peu de gens s’en rendent compte. Ils se retrouvent seuls et se sentent bien dans cette solitude puisqu’ils sont désormais à l’abri de cette pulsion de mort. Mais quand, dans l’amour, on a survécu aux déchirements, aux conflits, on atteint une zone formidable où rejaillit le sentiment. » L’amour vrai n’est pas un contrat d’affaires : c’est un sentiment violent qui fait courir un danger aux deux partenaires. Il ne faut jamais l’oublier quand on doute, quand l’autre semble nous « désaimer ». « Quand quelqu’un se défend, explique Monique Schneider, ça ne veut pas dire qu’il n’est pas amoureux. Il peut juste redouter de se retrouver les mains liées. »