DU BONHEUR D’ATTENDRE
Car, oui, plus c’est long, plus c’est bon. Là encore, on a beaucoup à apprendre de ceux qui ont inventé le conter fleurette, nos aïeux les médiévaux. « Attention, reprend Catherine Solano, il ne s’agit pas de se délecter de la frustration. Le romantisme à la XIXe siècle, c’était se sentir vivant dans la douleur, ce que l’on ne veut plus. Et il n’est pas question non plus ici de calcul, de créer le désir avec une stratégie. Cela, ce serait comme la pornographie : faire de l’autre un objet qu’on manipule pour arriver à ses fins. » Pas d’attente pour l’attente, donc. Mais se laisser vivre l’aventure à son rythme.
D’ailleurs, il y a toujours, dans les romans courtois, un moment de traversée de forêt, de mer, de montagne… Pas seulement pour embrocher du Viking, mais pour, sans doute, se dompter soi-même. « Se jeter sur quelqu’un tout de suite, c’est se créer des sensations fortes quand on n’en a pas. Mais si l’autre vous plaît vraiment, on n’a pas besoin de cette escalade, de positions dingues, d’expériences sans cesse renouvelées, continue Catherine Solano. Quand vous éprouvez des sentiments, rien que de sentir l’autre près de vous, on en devient fou. C’est l’émotion qui crée la plus grande excitation, pas la prouesse sexuelle. Le romantisme augmente le plaisir. » Oui, c’est l’anti-brute qui mène au rut ! Il faut savoir prendre son temps.
David Foenkinos, l’auteur de « La Délicatesse », le disait dans nos pages, en octobre dernier : « J’ai appelé mon roman “La Délicatesse”, mais j’aurais pu l’appeler “La Lenteur”, tellement ces deux notions sont proches dans mon esprit. » Le temps retrouvé, le goût d’envoyer une lettre plutôt qu’un SMS (selon un sondage Louis Harris du « Parisien »*, 67 % des jeunes en rêvent), l’ouvrir, en caresser le papier et la garder contre son coeur… « Ce romantisme, poursuit Catherine Solano, c’est prendre le temps de connaître l’autre, physiquement aussi. C’est fou comme même un simple mouvement de va-et-vient, doux, lent, peut être troublant quand on y prête vraiment attention. »
* Sondage paru dans « Le Parisien » du 22 mai 2011.
DU FRISSON DE SE METTRE EN DANGER
« Le romantisme, pour moi, c’est se mettre en danger », nous confie Olivier, trentenaire ravi de ce retour du fleur bleue. C’est oser parler d’amour, ouvrir son coeur, risquer le ridicule, toutes choses aussi nécessaires que d’enlever sa vieille armure pour pouvoir pénétrer les zones d’ombre de l’intime… « Nous avons trois cerveaux sexuels, explique Catherine Solano. La pulsion mécanique, animale, le cerveau émotionnel qui demande des câlins, de la tendresse, et le cerveau cognitif. Certains de mes patients me racontent combien ils sont très excités quand la rencontre est aussi intellectuelle. C’est alors échanger, entrer dans l’intime, se brancher non pas sur l’excitation, mais sur les émotions. » Une intimité qui fait peur, tel un bon gros dragon qu’on occit avec dix ans de psychanalyste et/ou une vraie rencontre à laquelle on a donné le temps de se construire. Un truc qui vous demande le courage d’avoir foi en soi, d’oser prendre le risque de souffrir par l’autre, de vaincre la peur de l’échec.
Comme l’a dit Ovide : « Sans danger, le plaisir est moins vif. » C’est là, la vraie prouesse, la route du Graal. « A tort, les femmes ont cru un moment qu’il leur fallait être dans le technique pour plaire aux hommes, regrette notre sexologue. Alors que, eux, justement, osent être plus libres dans leur parole et ne demandent qu’une chose, qu’elles les guident sur ce chemin de l’intime et du tendre. C’est d’ailleurs pour cela que l’on emploie le mot “maîtresse”. J’avais un patient qui a quitté une femme avec qui tout se passait formidablement bien sexuellement, mais, après l’amour, il avait toujours envie de recommencer, parce qu’il n’avait pas reçu de tendresse, rien échangé de sa réelle intimité. La sexualité, c’est avant tout un acte qui remplace le maternage de l’enfance. D’où les petits mots, les caresses. Sa ”partenaire” répondait au culte de la performance, alors qu’on aime vraiment l’autre pour les faiblesses qu’il ose nous dévoiler. »
DE L’EXTASE D’AVOIR ÉTÉ CHAUFFÉ À FEU DOUX
Et maintenant qu’on a pris le temps de se connaître, troussons-nous gaiement, mon mignon ! Imaginez, après tant d’amour courtois à retenir nos pulsions, à fantasmer, découvrir, fantasmer encore l’autre, à rêver mille façons de l’approcher, de le séduire, à en devenir si proche qu’on fait fi de pudeurs bourgeoises et autres codes imbéciles… quelle effusion, quel feu d’artifice ! Et quand on a suffisamment d’esprit pour faire un texto romantico-imaginatif,croyez bien qu’on en a aussi pour un cunnilingus !
Le romantique n’est pas moins sexué que les autres, au contraire, il place la chose si haut qu’il sait en prendre soin, faire monter la température avec la dextérité d’un Bocuse, et s’en repaître avec l’appétit d’un Pantagruel. Tels Guenièvre et Lancelot qui se jetaient l’un sur l’autre comme des lapins dans leur forêt. Mais c’est à la belle Héloïse que nous laisserons le mot de la fin. Dans des lettres magnifiques envoyées à Abélard, pour lequel, dit-elle, « de l’aurore au coucher du soleil, elle brûle encore », elle écrit se rappeler « ces nuits, douces nuits, qu’au sommeil disputaient les plaisirs ! » Amoureux de tous âges, à vos livres d’histoire et vos histoires d’amour !