De plus en plus de parents débordés se précipitent chez les psys avec ce diagnostic : « Mon enfant est hyperactif ! » Or les caprices ou les colères des plus petits relèvent rarement de la pathologie.
« Je suis la mère qui court derrière son fils dans la rue, en criant : “Fais attention à toi !” Je suis la mère qui le regarde hurler “Ooooreeeeeeooooo !”, le nom de ses biscuits préférés, devant la grille de l’école, en espérant secrètement qu’on ne me reconnaîtra pas. Je suis la mère qui, à cause des cris de son enfant, n’a pas dormi une nuit entière avant qu’il ait 3 ans. Je suis la mère qui a perdu toute dignité. » Laure, 35 ans, rit, mais elle et son compagnon sont au bout du rouleau : depuis la naissance de Benjamin, leur vie s’est transformée en cauchemar. Leur fils, 6 ans, a envahi leur existence et les tyrannise, ainsi que sa grande sœur. Culpabilité, conflit, épuisement menacent un équilibre familial fragilisé. Parfois, Laure reconnaît regarder son fils comme « un ennemi. Je me demande s’il ne va pas me dévorer ».
Combien d’adultes éprouvent le sentiment de traverser quotidiennement Le Village des damnés de Wolf Rilla (1960), film dans lequel des enfants sataniques provoquent la disparition d’humains terrifiés par leurs pouvoirs ? Comment expliquer que les cabinets croulent sous les appels et que les consultations pour enfants dans les hôpitaux soient surchargées ? À Paris, la liste d’attente pour décrocher un rendez-vous à l’hôpital pédiatrique Robert-Debré est de plus d’un an. Les pédopsychiatres comme les psychanalystes confirment être débordés par les demandes de parents qui se plaignent de leurs enfants « difficiles ». Difficile, ça n’existe pas, cela « n’a aucun sens. C’est nier la construction de l’enfant et le rôle qu’y jouent les parents ».
« Si l’enfant est agité, il n’y peut souvent rien »
« Aucun enfant n’est difficile en soi, abonde la psychanalyste Marika Bergès-Bounes, coauteure deL’enfant insupportable (Érès, 2010). S’il est difficile, c’est toujours pour quelqu’un : pour l’école, pour sa famille, pour ses camarades… » Le terme « difficile » n’a d’ailleurs aucune signification dans le tableau clinique des troubles répertoriés en psychopathologie et en psychiatrie. Mais il rend compte d’une réalité bien tangible pour les parents. Et, à force de l’entendre prononcer en consultation, la psychologue Isabelle Roskam a essayé d’en cerner les contours. Depuis 2004, elle dirige une équipe de recherche à l’université catholique de Louvain, en Belgique, et participe à un programme d’études dont elle détaille les résultats et les conclusions dans un ouvrage pédagogique (Mon enfant est insupportable ! Comprendre les enfants difficiles, Maradag, 2013). « Mon travail est le fruit des questions des parents qui tous me parlaient de leur enfant difficile, indique-t-elle. Dans leurs descriptions, les mêmes comportements revenaient et relevaient de ce que les psychologues rangent dans la sphère des troubles externalisés, c’est-à-dire toujours tournés vers l’extérieur et difficiles à supporter pour l’entourage. Ils sont l’opposé de ce que nous nommons les troubles internalisés, dans lesquels l’individu retourne son malaise contre lui-même en se repliant, en sombrant dans la dépression, en se mutilant… Quand les parents viennent me parler, ce n’est jamais pour ces troubles internalisés, car, dans ces cas-là, ils voient leur enfant comme une victime. Dans les troubles externalisés, en revanche, ils le considèrent en pleine maîtrise de la situation. Ils lui en veulent parce qu’il frappe et bouge tout le temps. Comme si l’enfant pouvait décider de s’arrêter ! Je commence par les débarrasser de cette croyance, par leur expliquer que, s’il bouge constamment, il n’y peut souvent rien. »
Marc se souvient encore de ce jour où Marie, sa fille de 7 ans, courant dans tous les sens autour de la table lors d’une réunion familiale, s’est pris les pieds dans la nappe et a tout renversé sur son passage : « J’avais honte devant mes frères et sœurs. J’ai crié très fort. Je n’en pouvais plus de cette fillette intenable. Mais je l’ai tellement effrayée qu’elle a commencé à se balancer nerveusement d’avant en arrière en chantonnant et en se bouchant les oreilles. Bien plus tard, après quelques séances de thérapie, elle m’a expliqué qu’elle avait très très peur de mourir. Je m’en veux encore. » Marika Bergès-Bounes constate que, « au bout du compte, une attitude “difficile” témoigne toujours d’une difficulté à vivre qui s’adresse aux autres. Souvent, un enfant agité gigote parce qu’il a peur de mourir. Il tente de démontrer par ses mouvements permanents qu’il est bien vivant, peut-être parce qu’il a succédé à un enfant mort, peut-être parce qu’il y a eu des deuils dans la famille. Quoi qu’il en soit, quand vous parlez de la mort avec ces petits et que vous leur demandez s’ils bougent parce qu’ils en ont peur, tous vous répondent très vite : “Oui.” »
« Le pédopsychiatre m’a recadré vite fait »
Pas de médicaments avant 7 ans !
Dans sa consultation à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, la psychanalyste Marika Bergès-Bounes et ses confrères se refusent à utiliser les médicaments dérivés du méthylphénidate, comme la Ritaline, pour traiter des troubles de l’attention et d’hyperactivité. La psychologue Isabelle Roskam rappelle par ailleurs que ce médicament ne soigne pas : il permet de masquer les symptômes et de donner un coup de pouce temporaire aux jeunes qui souffrent. « Quoi qu’il en soit, ajoute-t-elle, on ne devrait jamais délivrer de diagnostic de TDAH [troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, ndlr] ni de médicaments en dessous de 7 ans, parce que, avant cet âge, la zone frontale du cerveau spécifiquement engagée dans les problèmes d’hyperactivité est en pleine maturation. »
Au début, Marc était persuadé que Marie était hyperactive: « Je suis allé sur le web et j’y ai trouvé le questionnaire de Conners, qui sert à diagnostiquer les troubles de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité [TDAH, ndlr]. Je suis arrivé avec mon petit diagnostic chez le pédopsychiatre, qui m’a recadré vite fait. Non, Marie ne souffrait pas de TDAH ! Nous avons entamé une psychothérapie en famille, et les choses se sont considérablement calmées et adoucies à la maison, même si ce n’est pas encore ça. » À chaque époque ses troubles, reconnaissent les psychiatres et les psychanalystes, fatigués de voir des parents qui leur donnent des verdicts catégoriques sur leur progéniture. « Ils remplissent des QCM sur Internet et arrivent en consultation en m’assénant : “Voilà, mon fils est hyperactif”, raconte la pédopsychiatre Marie-France Le Heuzey, auteure de L’enfant hyperactif (Odile Jacob, 2003). Alors que c’est rarement le cas : l’enfant peut être opposant, dyslexique, ou souffrir d’une pathologie plus lourde, comme l’autisme. » D’après cette spécialiste de l’hyperactivité, les cas de TDAH sont en fait peu nombreux, puisqu’ils ne concernent que 5 % des enfants scolarisés en école élémentaire, ce qui représente en moyenne un enfant par classe.
Cela dit, la « vague » d’autodiagnostics d’hyperactivité serait en net recul, selon Marika Bergès-Bounes, qui en a vu d’autres : « Je suis arrivée à l’hôpital Sainte-Anne en 1972. À l’époque, les hyperactifs s’appelaient des enfants instables, et le tableau clinique décrit n’était pas le même puisqu’il insistait sur l’agitation motrice. Il y avait beaucoup d’enfants diagnostiqués instables dans ces années-là. Puis a surgi le terme d’hyperactivité, et l’aspect moteur a progressivement disparu pour se focaliser sur les troubles de la concentration et de l’angoisse. Aujourd’hui, la définition s’est tellement élargie que nous retrouvons classés dans cette “catégorie” des enfants qui souffrent également de problèmes d’apprentissage. Donc, jusqu’en 2008, beaucoup de parents sont arrivés avec ce diagnostic de TDAH. Auparavant, dans les années 1980, nous avions aussi eu droit à la vague des surdoués. Le raisonnement parental était le suivant : “Mon enfant n’arrive pas à s’adapter à la classe, la maîtresse ne le comprend pas, il est donc surdoué !” Dans les années 1990, c’était plutôt la mode des enfants “dys” (dyslexiques, dysorthographiques, dyspraxiques). Toutes ces vagues ainsi que l’“épidémie” hyperactive sont en chute libre. Je vois aujourd’hui des enfants qui font des crises, des enfants colériques qui s’opposent à l’autorité parentale. Et ça, ce n’est pas une construction mentale. Mais, pour qu’un enfant accepte l’autorité, il faut que ses parents aient les mêmes exigences. Sinon, il joue sa carte “perso” pour qu’on s’occupe de lui. Or, souvent, et notamment quand il y a divorce ou séparation, la limite posée par l’un n’est pas la même que celle de l’autre. L’enfant profite alors de cette marge et prend place dans cet écart. En revanche, si les deux adultes sont d’accord, par exemple sur le fait qu’il doit bien travailler en classe ou qu’il n’est pas question de critiquer son enseignant devant lui, cela va faire autorité pour lui. »
« Les parents devraient se donner le droit d’imposer »
Sur cette question compliquée, les spécialistes rappellent toujours aux parents, pour leur donner du courage, que les enfants difficiles ont besoin de cadre et de limites. Claude Halmos souligne également la nécessité pour les parents de se sentir légitimes. Ce qui est plus compliqué qu’auparavant à cause de la place accordée à l’enfant, explique Isabelle Roskam : « Au début du XXe siècle, l’enfant avait une place d’enfant dans la famille : on ne lui demandait pas son avis sur l’école qu’il allait fréquenter, sur l’heure du souper ni sur ce qu’il allait y avoir dans son assiette. La hiérarchie était clairement établie. Mais il occupe désormais une place centrale. Résultat, beaucoup de parents ne se sentent pas autorisés à prendre des décisions sans lui avoir demandé son avis, clairement expliqué le pourquoi du comment. Ils ne se donnent pas le droit d’imposer. Ils devraient ! Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être expliquées : respecter l’intégrité des autres en ne tapant pas ne se justifie pas. »
Et puis se pose parfois une question encore plus aiguë : celle de la dégradation du milieu dans lequel certains enfants évoluent et grandissent. Lors de ses consultations, Marie-France Le Heuzey a pu constater que « dans beaucoup de cas, ils ne souffrent pas de TDAH mais sont atteints de troubles oppositionnels. J’exerce depuis 1976 et j’ai malheureusement l’impression qu’il y a de plus en plus d’enfants violents, agressifs. Ils vivent dans des environnements insupportables : sans père ou sans mère, dans la précarité, la violence. Plus j’avance vers ma retraite, plus je trouve cela triste, parce que la réponse n’est certainement pas psychiatrique ». Dans un environnement difficile, difficile d’être un enfant facile.
En pratique : leçons de conduite
A DÉCOUVRIR
Idées lectures
Léon dit non d’Audrey Lhomme (Alice Éditions, 2003) pour l’opposition.
Grosse Colère de Mireille d’Allancé (L’École des loisirs, 2004) pour les « crises ».
En dialoguant avec les parents d’enfants « difficiles », Isabelle Roskam, psychologue, a constaté que c’étaient toujours les mêmes attitudes qui étaient décrites. Quelques conseils pour calmer les angoisses des petits et des grands.
L’agitation motrice. L’enfant bouge beaucoup, ne tient pas en place et fatigue énormément ses parents.
L’opposition, la désobéissance, la provocation. Ce sont des enfants plutôt intelligents qui disent « non » ou poussent leurs parents à bout en faisant ce qui leur est interdit, voire ce qui rend ces derniers fous.
L’agressivité physique. Dès qu’il arrive quelque chose à l’enfant, il réagit en tapant. Ou, plus grave, il agresse spontanément les autres.
L’impulsivité. Ce sont des enfants « catastrophes ambulantes, explique la psychologue. Ils ne réfléchissent pas à leurs gestes, renversent les objets et, surtout, peuvent se mettre en danger en traversant la route sans faire attention ».
Les sautes d’humeur. Beaucoup de crises de larmes, de colères, de hurlements disproportionnés et difficiles à enrayer par rapport à la situation qui les a provoqués.
Les solutions. Isabelle Roskam recommande de hiérarchiser les priorités et de commencer par les comportements « totalement inacceptables ». Jeux, lectures et développement du langage entre 2 et 7 ans permettent à l’enfant de se stimuler tout en s’amusant, de communiquer et de négocier sans violence avec ses parents. « Pour lutter contre l’impulsivité, conseille la psychologue, on peut jouer à “ni oui ni non” : cela apprend à se freiner pour mûrir une réponse adaptée à la question posée. Quand on opte pour “Jacques a dit”, pour “un-deux-trois soleil”, on fait travailler la maîtrise de la motricité. On peut aussi entraîner l’attention auditive et visuelle avec le jeu Jungle Speed. Je préconise de continuer à pratiquer ces exercices même après 7 ans, parce qu’ils servent en fait toute la vie. »