Une domination consentie
Une étude réalisée en 2015 par Kitae Sohn, chercheur à l’Université de Konkuk, à Séoul, confirmait que, quels que soient leur âge, leur statut social, leur culture et la relation envisagée (courte, longue ou épisodique), les hommes hétérosexuels étaient en grande majorité attirés par des femmes évoluant entre 17 et 25 ans(4) . « Les avantages, ce sont cette fraîcheur, cette fermeté de la peau et cette spontanéité sexuelle que beaucoup de femmes perdent après 30 ans, au nom d’une pseudo “maturité érotique” qui est surtout pour moi synonyme d’ennui », explique crûment Alexandre, 39 ans, programmeur informatique, en couple depuis deux ans avec une femme de 24 ans. Et d’ajouter : « Il y a aussi l’absence de pression quant à la maternité et une dimension narcissique lorsqu’on croise les regards envieux des autres hommes dans la rue. »
La disponibilité sexuelle, l’éclat social et l’absence de revendication maternelle occuperaient ainsi, selon ces hommes, de bonnes places dans la colonne des avantages liés à ces unions juvéniles. Pour certains, il s’agit aussi d’une transmission symbolique à même de stimuler l’ego masculin. Mais elle peut aussi virer à une question d’argent. « Dans ce type de configuration, c’est toi qui paies tout, car tu as le rôle de l’adulte. La dernière fille avec qui je suis sorti, et qui avait tout juste 25 ans, m’appelait en rigolant son “Sugar daddy” (« Papa gâteau », en français, ndlr) », confirme Edouard. Signe des temps : la multiplication, ces dernières années, des sites aux frontières de la prostitution, tels que Seeking arrangement, proposant de mettre en relation des hommes « à l’aise dans la vie » avec des « jeunes femmes attirantes et ambitieuses ».
Soit l’illustration paroxystique de cette « domination consentie » des femmes plus jeunes et économiquement plus précaires que leur conjoint, théorisée par le sociologue Michel Bozon(5). « Les jeunes filles me donnent l’illusion de ne pas vieillir. Et elles, en retour, reçoivent une forme d’assurance-vie et trouvent un père en moi », ajoute nonchalamment Roland Jaccard. Ce que confirme l’essayiste Peggy Sastre(6) : « Dans un couple hétérosexuel, quand c’est l’homme qui est plus âgé que la femme, on observe un écart dans les revenus et le niveau d’études – avec l’homme généralement au-dessus. C’est un phénomène universel. » Des décalages sociaux qui peuvent parfois générer d’imprévisibles vertiges existentiels. « Un soir où j’ai pris des verres avec ses copines, beaucoup moins matures qu’elles, d’un coup je me suis demandé ce que je foutais là », raconte Alexandre. Un malaise parfois subtilement amplifié par les cercles amicaux, qui peuvent observer d’un œil modérément bienveillant ce qu’ils considèrent comme une volonté un peu pathétique de conjurer le temps. « En sous-texte, il y a cette idée que l’âge de l’une aurait le pouvoir magique de régénérer l’autre, analyse la conseillère conjugale Caroline Kruse(7) . Résultat : un homme avec une femme plus jeune est peut-être secrètement jalousé, mais souvent aussi légèrement désocialisé de son réseau d’amitiés antérieur. »
Mais alors, quelles sont les origines de cet étrange attrait pour la jeunesse ? Qu’il s’agisse d’un simple « moment d’égarement » – en référence au titre du film de Claude Berri où l’héroïne, encore adolescente, entretient une relation avec le meilleur ami de son père, qui a récemment fait l’objet d’un remake par Jean-François Richet – ou d’une attirance pérenne, elles semblent tirer leur genèse d’un moment fondateur de nos constructions amoureuses. « Chez l’homme, l’origine de cet attrait fait souvent écho à la relation mère-fils, celle-ci, dans leur cas, étant souvent teintée de distance ou de séduction mal placée, analyse le psychologue Lubomir Lamy(8). Ce qui explique aussi pourquoi on retrouve en effet chez ces hommes une représentation de la femme souvent dégagée de sa dimension maternelle au profit de sa dimension érotique. »