Quand j’ai découvert ses échanges, le ciel m’est tombé sur la tête. Dix, vingt femmes gravitaient autour de mon mari, et lui leur prodiguait ses petits mots d’amour : “Mon trésor” et, surtout, “Mon unique”. Les mots étaient les mêmes pour toutes. Il avait détruit ce qu’il y avait d’inédit entre nous. Ce fut une expérience terrible. Encore aujourd’hui, cela me fait mal d’y penser. Mon mari mentait sur son âge, s’inventait des sports, nous faisait disparaître de sa vie, moi et les enfants. Et tout ce sirop – style pompeux et mots mièvres – que j’adorais quand il m’était destiné me dégoûtait. Était-ce cela, mon homme, ce dragueur pathétique ? J’ai échafaudé tous les scénarios possibles. Répondre à sa place, insulter ces femmes, le ridiculiser, faire un scandale, débarquer au prochain rendez-vous… Mais je n’ai jamais pensé à le quitter. C’est à cette époque que j’ai cessé de manger et de dormir. Je me connectais fiévreusement à son compte pour lire et relire tout ce qui se passait, sans trop savoir qu’en faire. J’ai même arrêté d’aller au bureau. Il n’y avait plus que cet écran, ces messages. Je me levais la nuit pour les relire, j’allais jusqu’à me cacher des heures dans les toilettes avec l’ordinateur quand il était là. Bien sûr, j’aurais dû tout arrêter et lui parler, mais je n’en avais plus la force. Je ne voulais plus être celle qui se fait berner. Pour une fois, je voulais être la plus forte, celle qui tire les ficelles dans l’ombre.

Je n’ai eu besoin de personne pour m’inscrire sur Meetic. Mécaniquement, j’ai sélectionné les critères choisis par Jean-Louis pour éditer mon profil. Je ne me suis pas aperçue au début que mon avatar me ressemblait “comme une sœur”. La machine a très bien fonctionné : il est immédiatement apparu dans les personnes que l’on me proposait de contacter. Écrire mon premier message a été le plus difficile. J’ai hésité pendant des jours. Le seul fait de voir son nom dans ma liste de contacts suffisait pour que mon cœur batte la chamade. Il était là, de nouveau à ma portée, et pourtant… Un matin, très vite, je me suis lancée : quelques phrases simples, un peu de fantaisie, beaucoup de mystère. Je savais le cocktail détonnant pour Jean-Louis. Sa réponse a tardé. Il était très occupé ailleurs. Je ne me suis jamais demandé s’il couchait avec toutes ces femmes. Matériellement, c’était peu probable, mais mon problème n’était pas là. Je voulais seulement redevenir la préférée.

Et il m’a répondu… comme à toutes les autres. J’ai reconnu sa série de copier-coller, mais j’ai joué le jeu. Au début, je suis restée sur mes gardes, puis nos échanges sont devenus plus familiers. Nous avons “flirté” une nuit entière. Nous échangions des images, des tableaux que nous préférions et, comme des enfants, nos couleurs, nos plats, nos poèmes favoris. D’un coup, il m’a annoncé qu’il recherchait quelqu’un comme moi, qu’il voulait quitter sa femme et me rencontrer. Et, bien sûr, il voulait voir mon “vrai visage” ! Je me suis terrée dans le silence. Le dernier message, il l’a adressé à la vraie Alice, via mon e-mail personnel : “Es-tu Pennylane ?” Consciemment ou non, j’avais donné trop d’indices. J’étais démasquée.