Le cri et la poésie

Le cri est notre première expression de vie à la naissance. Avec ce premier cri nous annonçons que nous sommes là, et que nous avons surmonté la première grande rupture de nos vies.

Nous nous sommes séparés de notre mère et ce premier cri nous permet de dire au monde que nous avons besoin de lui pour continuer à vivre.

Parfois, lorsque nous sommes adultes, nous avons l’impression que seul un énorme cri pourrait exprimer ce que nous portons à l’intérieur.

Seule une expression désarticulée et déchirante serait capable de dire que nous sommes des êtres sans défense qui avons besoin du monde.

Cependant, nous ne pouvons pas nous mettre à crier vivement dans ces moments extrêmement difficiles de la vie.

Pour cela, le cri qui ne peut pas sortir se transforme en silence. Tant le cri sourd que le silence lui-même parlent de l’impossibilité à articuler un discours, ou bien un témoignage cohérent sur ce qui nous arrive.

Lorsque le langage ordinaire ne sert plus, la poésie peut devenir une solution d’urgence. Et ce n’est pas seulement un ensemble de vers structurés, car la poésie fait référence à toutes les formes d’expression qui servent aux sens figurés à se concrétiser.

La poésie c’est le chant, la danse, la peinture, la photographie, l’artisanat. Tisser, coudre, décorer, restaurer. Tout acte créatif réalisé intentionnellement pour donner forme à la douleur que nous ressentons vaut autant que la poésie…

Tailler, sculpter, cuisiner… Cuisiner ? Oui, cuisiner. Avez-vous déjà lu «Chocolat amer» ? Dans ce livre, Laura Esquivel nous montre une façon de transmettre sa douleur aux aliments et parvient même à ravir les autres de délice.

Là où les mots se montrent insuffisants et où le cri s’étouffe, là où se trouve le germe de la poésie sous toutes ses formes, c’est ici que nous devons nous réfugier lorsque la douleur et l’horreur nous dépassent.

Où est la sortie alors ? Nous avons besoin de crier mais nous ne pouvons pas. Nous avons besoin de parler mais les mots ne viennent pas. Que nous reste-il pour exprimer cette souffrance qui nous fait mal chaque minute ?Les mots sont l’unique force capable de donner un nouveau sens à nos expériences. C’est grâce aux mots que nous pouvons évacuer toutes les formes de douleur qui nous habitent. Nous nous libérons, pour pouvoir aller de l’avant.