Quel recours ont-ils ?
Il est possible de suppléer au manque de charme naturel par un charme construit. Prenons Albert Jacquard, le généticien. Il parle de sa laideur avec un charme fou. Le « mal-aimé » a toujours besoin de prouver sa valeur et de s’en convaincre lui-même. D’ailleurs, aujourd’hui, on nous explique que la séduction s’apprend, avec des techniques, des recettes, des professionnels… Mais est-ce la vraie séduction ? Cela, je ne sais pas ! Si, au moins, on enseigne aux gens à s’intéresser à leur interlocuteur, à l’écouter… Pourquoi pas ?
L’incapacité de séduire relève-t-elle, selon vous, de la névrose ?
Se croire incapable de séduire est une pathologie rarement répertoriée et pourtant très fréquente. Je pense qu’il est légitime d’invoquer le domaine du pathologique, dans la mesure où la séduction est un processus relationnel, qui se trouve, là, bloqué. Le handicapé de la séduction se cantonne dans le rôle de l’oublié, du vaincu, et donne raison à sa mère qui posait sur lui un regard vide, ou traversé par l’ennui. Il ne prend pas soin de lui, s’habille de façon à passer inaperçu, convaincu de ne pas intéresser son prochain. Souvent, il souffre de problèmes psychosomatiques et d’un fort sentiment de culpabilité – a-t-il vraiment le droit d’exister ? Il parle fréquemment en chuchotant, tant il a peur d’ennuyer. Il s’interroge sur le charme que les autres possèdent et dont il se croit seul privé. « Si je ne représente rien pour ma mère, se dit-il inconsciemment, je ne suis rien pour les autres. » Et cela, j’ai pu le constater, même en cas de réussite sociale éclatante à l’âge adulte.
A l’inverse, quelle enfance a connu le séducteur compulsif ?
Je crois qu’il a subi une contradiction entre une sexualité infantile précoce et débordante, et un discours parental très « interdicteur ». Dépassé par un excès d’excitation incontrôlable et incompréhensible, il s’est senti l’objet passif de ses parents. Les interdits n’ont pas structuré sa libido, ils l’ont inhibé et bloqué. La séduction a pour lui valeur de transgression. C’est une stratégie inconsciente pour nier le discours du père et de la mère.
Dans votre essai, vous évoquez le séducteur qui multiplie les conquêtes, le manipulateur qui cherche à nous attirer pour obtenir quelque chose, mais aussi le charme énigmatique du féminin… Qu’y a-t-il de commun entre ces trois notions ?
Séduire, c’est toujours, d’une certaine façon, tromper, leurrer l’autre, même si c’est inconscient. Le séducteur professionnel trompe sur ses intentions. Et la personne qui s’efforce de paraître séduisante trompe sur « la marchandise », si j’ose dire, dans la mesure où elle ne sera jamais à la hauteur de ce qu’elle fait miroiter.
« Les femmes séduisent en se taisant. » Le silence serait donc un outil de séduction ?
Les femmes qui continuent de séduire leurs conjoints après des décennies de vie commune sont très rarement de grandes bavardes, ou des intellectuelles brillantes cherchant à attirer par leurs idées et leurs discours. Elles sont silencieuses. La femme fatale ne parle pas. Elle peut être une vraie buse, mais, tant qu’elle se tait, le charme perdure. La séduction doit absolument s’auréoler de mystère. Or, rien de plus énigmatique que le silence : il laisse l’autre fantasmer et imaginer ce qu’il veut. Essentiel aussi, l’art de jouer avec le temps : savoir disparaître au bon moment, pour attiser le désir.