Moins travailler, moins consommer, mais mieux vivre, c’est le mouvement salvateur qui s’amorce partout dans le monde. Et si la slow life nous faisait gagner du temps ?
C’est une révolution douce, à bas bruit. Sans putsch ni coups de fusil. Ses hérauts se relaient pour porter la bonne parole, chacun témoignant de cette « slow life » nouvelle qui change son existence. Slow life, donc la « vie lente », concept hier fleurant bon le baba cool ou l’altermondialisme, aujourd’hui valeur en hausse, au coeur de toutes les préoccupations.
Le créateur belge Raf Simons, en quittant Dior dont il était le directeur artistique, s’est emparé peut-être malgré lui de ce flambeau, devenant la référence pour ceux qui aspirent à regagner du temps. Dans une interview donnée quelques jours après sa démission en octobre dernier au magazine « System », il expliquait : « On n’a jamais assez de temps. Vous sentez une tension. Je sais comment sortir de cela dans ma vie personnelle.
Nous partons à la campagne et observons la nature pendant trois heures. C’est le paradis […] Mais comment le faire dans le contexte professionnel ? » Pour méditer sur cette vaste question, Raf Simons a donc pour l’instant choisi le retrait. Et préféré reprendre sa liberté, hors d’un grand groupe de luxe.
Il n’est pas le seul. D’autres, partout dans le monde, esquissent des réponses. Elles passent par une décélération à tous les niveaux. Marre du speed du lever au coucher, ordinateurs et Smartphone vissés au corps, les mains scotchées aux écrans, alors qu’elles pourraient caresser, sculpter, virevolter ! Marre des impératifs du toujours plus, toujours plus rentable, toujours plus performant. Au mépris de la vie personnelle, intime, familiale, amoureuse, amicale. À Los Angeles, par exemple, des stylistes et designers inventent de nouveaux « business models », reposant sur l’idée de faire juste ce qu’il faut pour trouver l’équilibre.
C’est le cas de Jesse Kamm, chevelure et jambes de surfeuse, queen cool d’Instagram et une vie à faire pâlir d’envie n’importe lequel d’entre nous. Quand, à Paris, Raf Simons faisait sa sortie fracassante, la jeune femme était probablement à L.A. en train d’enfourcher sa planche de surf ou de s’occuper de ses enfants, alors que sa petite maison de mode connaît un buzz insensé. Oui, mais voilà : pour la demoiselle, pas question de sacrifier ses trois mois de vacances en été et de rater la sortie de l’école à 15 h 30.
« Pour ne pas déroger au mode de vie qui est le mien, je ne veux pas fournir plus que les vingt boutiques qui vendent ma marque actuellement », déclarait-elle récemment dans une interview. Le magazine « Kinfolk », à Portland (mais il est adulé par les branchés du monde entier), consacre des pages et des pages à montrer le versant glamour de cette vie low-key : des intérieurs inspirés du recyclage, du minimalisme, du vintage… Le courant fait fureur au Japon, pays de la sobriété heureuse.
Par ailleurs, aux États-Unis se développe aussi le mouvement dit du « tiny living », soit la prise de conscience qu’il vaut mieux vivre épanoui dans un endroit petit qu’aliéné dans une maison immense.
La France n’est pas en reste. Pierre Rabhi, philosophe décroissant, agriculteur bio – marginal, méconnu, voire moqué il y a peu –, vend désormais des tombereaux de son ouvrage « La Puissance de la modération » (Hozhoni Éditions). Tandis que Frédéric Lenoir est passé maître dans l’art de prôner la vie simple et la joie, moult best-sellers à l’appui (lire ci-dessous). Mais le concept de la lenteur comme fondement d’une vie apaisée et plus riche sort des rayons du développement personnel pour gagner des terres plus pop, plus grand public.
Le rappeur Oxmo Puccino a dévoilé, en novembre, un morceau titré « Slow life » (lire ci-dessous), détaillant les grands axes de ce qui est devenu sa philosophie de la vie : « La slow n’est pas la no-life, sors tes antennes, capte, respire un peu, écoute ce coeur battre. »
Tout un programme ! L’artiste est ainsi en phase avec le réalisateur humoriste Kyan Khojandi. Hier, ce dernier connaissait le succès avec la minisérie speed « Bref », sur Canal +. Aujourd’hui, il est l’auteur de « Bloqués », contre-pied de ce qu’il a fait précédemment, ou l’art de perdre son temps et la célébration de la glande infertile.