La rencontre de deux inconscients

On sait aussi, grâce à la psychanalyse, que l’alchimie amoureuse ne doit rien au hasard, mais qu’elle naît de la rencontre de deux inconscients qui se choisissent. Une gestuelle, une voix, un grain de peau, une façon de dire ou d’être viennent réveiller ce qui sommeillait au plus profond de nous et réactiver à notre insu notre mémoire affective la plus ancienne, celle de nos premiers liens.
« Dans l’état amoureux, nous vivons une forme de régression qui réactive le premier lien affectif fusionnel – avec la mère – ou, au contraire, le répare s’il a été défaillant », explique Marie-Laure Colonna, psychanalyste et philosophe.

En état d’amour, la réalité ordinaire se dilate, toutes les portes – en soi et autour de soi – semblent s’ouvrir, les émotions s’intensifient, la banalité se dissout dans l’euphorie.

Un état hallucinatoire

Le regard se voile, l’ouïe devient sélective, nous ne voyons ou n’entendons que ce qui répond à nos attentes conscientes ou inconscientes. « On ne voit de l’autre que ce que l’on projette sur lui, c’est la base même de la passion, de l’état amoureux, avance le psychiatre et psychothérapeute François-Xavier Poudat.

Nous minimisons ses défauts, nous modifions notre propre comportement, nous n’hésitons pas à tricher sur nos goûts pour intéresser l’autre davantage. C’est le temps du mensonge et personne n’y échappe. » Et selon Jean-Pierre Winter, psychanalyste, le mot « idéaliser » est encore trop faible pour exprimer le regard amoureux : « Il s’agit de rêve, au sens freudien du terme. Freud définit le rêve comme la réalisation d’un désir, et dans ce rêve, l’être aimé comble nos attentes, nos désirs et nos besoins. »

L’état amoureux est un état hallucinatoire qui nous invite à décrocher temporairement de la pesanteur du réel… C’est un authentique état modifié de conscience : pour celui qui l’aime, l’être le plus anodin se transforme en héros magnifique.

Alors que nous avons vécu sans lui plusieurs décennies, en quelques heures ou quelques jours, il nous est devenu indispensable. Et pour prolonger le rêve, toute constatation susceptible de mettre en cause la perfection de l’aimé est immédiatement refoulée, les mises en garde de l’entourage sont taxées de calomnies, de jalousies…

Les personnes dotées d’une faible estime de soi sont spécialement douées pour ce processus d’idéalisation. Freud évoquait en son temps ces femmes fragiles qui changent de personnalité, de centres d’intérêt à chaque nouveau partenaire, certaines de s’être enfin trouvées.