A 29 ans, Élodie rencontre l’ homme de sa vie. Il est marié, mais elle bascule. Cinq ans plus tard, elle est toujours sa maîtresse et ne regrette rien.

Mes talons valsent dans l’entrée.Le droit, le gauche. Essoufflée, j’accroche mon manteau sur la patère. Au moment d’y poser mon écharpe, je m’enfouis dans son lainage : elle sent si bon, elle sent encore lui. Je viens de quitter Seb et nos adieux torrides me font rougir. Je m’en mords les lèvres de plaisir. Et de hâte. Je le revois lundi, mais il me manque déjà. Et ça fait cinq ans que c’est comme ça.

Cinq ans… le jet du robinet m’hypnotise à mesure que la baignoire se remplit. J’ai besoin de cette eau brûlante, besoin de cette mousse revigorante pour reprendre des forces. Demain, au déjeuner du dimanche, il me faudra, comme chaque semaine, affronter le regard de mes parents, entre pitié et inquiétude. Essuyer aussi la perfidie de mes belles-sœurs, élégamment lâchée juste avant le bénédicité : « Élodie, ma pauvre, tu as de ces cernes… quelque chose ne va pas ? Ce n’est pas en travaillant comme ça que tu vas rencontrer le prince charmant ! Pourtant, il serait temps… »  Et j’aurais furieusement envie de leur répondre : « Je l’ai, mon prince ! C’est juste que, là, il est  avec sa femme, vous voyez ? Si vous saviez comme il me fait jouir… » Mais ça risquerait de jeter un froid – même sur  le gigot. Alors je vais me retenir. Je mâcherai en silence. Ici, on m’a surtout appris à me taire.

UNE GENTILLE FILLE

J’ai grandi dans une famille très bourgeoise de l’ouest parisien. Rien, absolument rien, dans mon éducation, ne me prédestinait à devenir la maîtresse d’un homme marié. et encore moins d’en être si heureuse. Fille unique derrière trois grands frères, j’ai été élevée dans le seul but de me faire passer la bague au doigt le plus vite possible. A l’église, évidemment. Tout ce que ma mère avait obtenu de mon père, qui nous menait tous à la baguette, était que je puisse faire des études de communication dans un cours privé.

C’est là que j’ai rencontré augustin. Fils d’une très bonne famille du quartier, il était si bien élevé qu’il avait demandé très officiellement à mon père de pouvoir m’emmener au country club le week-end.et c’est là que, non moins officiellement, nous nous sommes fiancés. J’avais 23 ans. Ce jour-là, j’étais la seule à ne pas sourire. Depuis quelque temps déjà, je sentais que quelque chose n’allait pas.

La jalousie d’augustin m’étouffait. Il me surveillait sans arrêt et, au moindre sourire échangé dans la rue, devenait très violent verbalement. Ses caresses n’en étaient pas : il me rudoyait. La veille de nos fiançailles, il m’a forcée à coucher avec lui. Pas très catholique, non ? Ça m’a écœurée. Le lendemain, je commençais à glisser : j’ai fait une dépression. Elle a duré trois ans et a au moins eu le mérite d’éloigner Augustin. Définitivement. Ma mère m’a couvée comme quand j’étais toute petite, jusqu’à ce que je sois capable d’exprimer ne serait-ce qu’une envie. Je ne lui ai jamais parlé de ce qu’il s’était réellement passé, mais je pense qu’elle s’en est doutée.

Sous ses dehors naïfs, ma mère est une fine mouche. Quand je lui ai dit que j’avais besoin, plus qu’autre chose, d’exercer un métier qui m’épanouisse, elle a su trouver les mots pour convaincre mon père de me laisser faire. Quelques années plus tard, j’étais auxiliaire de puériculture. La déchéance, pour le milieu d’où je viens… Moi, c’était mon rêve de gosse. Le studio que je pouvais financer moi-même, c’était mon palais. Enfin seule !

LA PASSION FAITE FEMME

J’ai assez vite repéré Seb. Les papas qui viennent tous les jours à la crèche, c’est rare… sa femme est cadre dans une multinationale, elle est toujours en voyage. Il est instituteur, alors c’est lui qui gère le quotidien. Gentil avec tous les gamins – pas seulement le sien –, attentif avec nous, les auxiliaires, il s’est vite fait une place de choix sur les tapis de jeu. Peu habituée aux hommes doux, j’étais plutôt méfiante au départ.

Je me tenais loin de lui. Jusqu’au jour où je n’ai plus eu le choix. Je tentais de décrocher mon vélo quand un automobiliste a manqué de me renverser. Pire : il s’est mis à me hurler dessus. Était-ce la fatigue, le cafard de l’automne ou le souvenir des colères d’augustin ? Reste que j’ai fondu en larmes. Seb était sur le trottoir d’en face, en train de faire ses courses. Exceptionnellement ce jour-là, sa femme s’occupait des enfants. Il m’a proposé un café, j’ai accepté. Nous y sommes restés trois heures sans voir le temps passer.

Seb m’a fait rire, Seb m’a posé des questions sur moi, Seb m’a écoutée. C’était sans doute la première fois de ma vie que ça m’arrivait. Alors, quand il m’a proposé qu’on se revoie le lendemain, j’ai dit oui. Et la semaine d’après aussi. Pendant des mois, nous nous sommes vus sans qu’il ne se passe rien. J’acceptais avec joie, convaincue que nous ne faisions rien de mal. Lui, en tout cas, me faisait un bien fou. Il était une bulle d’air inespérée dans ma vie. Il m’emmenait voir des expos, chez le disquaire, au cinéma… David Bowie, Diane Arbus, Lars von Trier, léonard Cohen, il m’ouvrait à une culture bien plus rock’n’roll que n’avait jamais été la mienne. Un après-midi, devant une grande toile de Basquiat, au Grand palais, il m’a pris la main.

Et moi, j’ai prié dieu pour qu’il ne la lâche jamais – si le curé de ma paroisse savait… nous avons marché en silence, le long des berges de la seine. Mon cœur battait à tout rompre. A un moment donné, Seb s’est retourné vers moi. Il a pris mon visage entre mes mains : « J’ai terriblement envie de t’embrasser… tu veux bien ? » j’ai tendu mes lèvres et, à 29 ans, j’ai connu mon premier vrai baiser d’amour. Peu à peu, doucement, tendrement, il m’a fait faire mes premiers pas dans une sexualité que je n’imaginais pas : délicieusement hors mariage, allègrement détachée de tout projet de famille ou d’enfant. Parce que Seb a été très clair, très vite, là-dessus : « Je ne quitterai jamais ma femme, je ne pourrais pas me résoudre à ne plus voir mes enfants.

Ce que je te promets est une vie en pointillé. Une vie de manque. Une vie cachée. Depuis des mois, je me torture pour savoir ce que je dois faire. Aujourd’hui, je le sais : je suis prêt. Parce que je ne peux pas vivre sans toi. Prends le temps de réfléchir, mon amour. Quelle que soit ta décision, je la respecterai. » J’ai dégluti. J’ai tourné les talons. Quelques semaines plus tard, j’étais de nouveau dans ses bras. Jamais, dans aucun autre endroit au monde, je ne me sentirai aussi bien. Aussi belle. Aussi apaisée. J’en ai eu la conviction assez vite, elle ne m’a plus quittée. Tout a un prix. Celui de mon bonheur, c’est le secret. La lourdeur des déjeuners familiaux. La culpabilité et le, mensonge, bien sûr. Souvent, je me dis que je dois tout arrêter. Trouver un mari. Faire des enfants. Ah, non, ça, c’est mon éducation qui me le dit. Moi, je suis amoureuse. Et, surtout, je suis libre.