Durant des années, elle a subi l’emprise d’un époux séduisant et violent. Cette femme à qui, en apparence, la vie souriait raconte son calvaire.

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Longue liane blonde, cintrée dans un manteau sombre, fardée d’un sourire flottant, on ne voit qu’elle lorsqu’elle franchit le seuil de cette brasserie bourgeoise de Saint-Germain-en-Laye. Elle s’assoit, plonge le nez dans son assiette. La voilà absorbée dans ses souvenirs, jetant, de temps à autre, un regard furtif à la table d’à côté où des hommes d’affaires devisent aimablement devant leur sole meunière, pendant qu’elle redescend en enfer. Dans le cliquetis des verres, Charlotte (1) fait revivre une scène digne de Shining.

La dernière fois que cette assistante commerciale de 42 ans a déroulé le fil de sa vie, c’était devant des policiers. Ce matin de novembre 2011, Charlotte a poussé timidement la porte d’un commissariat. Elle voulait porter plainte pour violences physiques. A la fin, le brigadier-chef a décidé de requalifier lui-même les faits. Actes de torture et de barbarie. Viol. Tentative de meurtre.

Elle parle avec des mots brefs, presque détachés, sans fioritures, détricotant une histoire dont elle ne possède pas encore toutes les clefs, et qui l’a encagée pendant huit ans. Serge et elle se sont rencontrés en 2004. Ivresse légère d’un soir, autour d’un zinc de Neuilly, dans la périphérie parisienne. Il avait raté son mariage. Elle n’avait pas réussi le sien. Il était brillant, impatient, noble. Elle, splendide, épatée et seule. Ils étaient faits l’un pour l’autre.

L’aventure démarre comme une échappée belle. Quelques disputes, déjà. Il dit qu’il veut retourner avec son ex, s’emporte aussi facilement qu’il se fait caressant. « Mes amis me répétaient de laisser tomber, mais j’étais complètement sous le charme », dit-elle, en tapotant nerveusement la table. Ils s’installent ensemble six mois plus tard. Elle tombe enceinte, par accident. Lui, qui a dix ans de plus qu’elle et déjà trois enfants, semble s’en réjouir. Mais elle perd le bébé. Retombe enceinte un peu plus tard. Cette fois, il paraît moins content. Et un jour, au Club Med, où ils sont en vacances, il lui annonce après les croissants: « Je ne veux plus d’enfants, je suis trop vieux, je veux que tu avortes. Je t’ai pris rendez-vous chez la gynéco. »

C’est non. Elle rentre à Paris vivre chez ses parents, couver sa grossesse et son chagrin. Une jolie petite fille vient au monde, qu’il ira quand même voir, après la naissance. Charlotte est heureuse. Au fond, elle rêve encore de cet homme, d’une famille, de la douceur de bambins endormis à l’arrière d’une voiture, d’un nouveau départ. Lui, nommé à un haut poste dans le textile, en Tunisie, lui retend la main. Ils partent, donc, loin de la France, des ex, des tensions qu’elle met sur le compte d’engueulades de couple. La vie s’annonce dorée, sous le soleil de Tunis. « Tout redevenait possible », sourit-elle, tristement.

Un jour, un uppercut succède aux mots doux

Premier coup de poing. Une nuit d’alcool et de jalousie, en discothèque. Des insultes qui fusent : « T’es qu’une salope, une pute ! » « Ces mots, il les prononçait depuis le début en fait, énervé pour un jouet qui traînait, le rôti pas assez cuit. Mais je mettais ça sur le compte de la fatigue, du boulot… » Cette fois, un uppercut dans le ventre succède aux mots doux. Il la laisse à terre dans l’entrée et rentre se coucher. Elle ne comprend pas : « C’est affreux mais, pour moi, des femmes qui se faisaient frapper, ça n’arrivait pas dans notre milieu… » Le lendemain, il se confond en excuses. Il ne sait pas ce qui lui a pris, il n’allait pas bien. Et la couvre de cadeaux.

Jusqu’à la dernière danse, c’est le même scénario qui se répétera, toujours. Tissé de charme, jouant sur la séduction et le rejet, les fausses promesses et les lunes de miel. Un velours de cruauté… Le film se joue sous le regard émerveillé des amis et de la famille, qui trouvent ce couple aisé « tellement beau ». De Tunis, Serge et Charlotte s’envolent pour la Thaïlande. Un autre poste pour lui, un ghetto de confort pour elle. 500 mètres carrés habitables, piscine. « Il était très fier de tout ça, il disait à ses collègues qu’il était le plus heureux des hommes. En société, j’étais l’épouse idéale. En vrai, sa chose… »