Lorsque la vie à deux tourne à l’orage ou au calme trop plat, se séparer est devenu banal. Pourtant, certains tardent à quitter le navire. Comment savoir que la relation n’a plus d’avenir et qu’il est temps de partir ? Enquête.

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Elle ne supporte plus sa présence mais elle reste avec lui. Il n’en peut plus de ses reproches mais il ne la quitte pas. À l’heure où un couple sur deux se sépare (45 % en province, 55 % à Paris), où la durée moyenne des unions est de quatre ans (source Insee), il n’existe aucune statistique pour témoigner de la réalité de « ceux qui restent » quand tout semble les pousser à se désengager. À l’heure de la rupture express et du divorce par consentement mutuel, nous connaissons tous des amis à propos desquels nous nous demandons : « Mais pourquoi restet- il [elle] ? » Usure, ennui, mésentente, certains supportent ces situations pendant des années avant de se décider à plier bagage.

Des bénéfices invisibles

« Le couple est aujourd’hui surinvesti, affirme Ghislaine Paris, médecin sexologue, thérapeute de couple et auteure avec notre collaboratrice Bernadette Costa-Prades de Faire l’amour pour éviter la guerre dans le couple (Albin Michel). Dès qu’il n’est plus parfait, certains rompent leur union pour en créer une autre qu’ils espèrent plus satisfaisante. D’autres s’accrochent à celui qu’ils ont formé. Leur satisfaction personnelle passe au second plan comparée à l’idéal de couple qu’ils ont construit. Une séparation ébranlerait le narcissisme investi dans la relation. »

Plus le duo affiche d’années de vie commune, plus « l’enveloppe couple » est difficile à briser. Une situation qui s’explique souvent par des ressorts moins apparents. Un couple arrive au bout de son cycle de vie pour de multiples raisons. L’un a évolué, l’autre pas. Les ressentiments se sont accumulés, générant un passif devenu supérieur au plaisir d’être ensemble. Il est possible que l’un ait eu besoin de s’appuyer sur l’autre pour grandir, mais qu’une fois plus mature il voie son partenaire autrement et ne souhaite plus vivre avec lui.

Pour le psychanalyste et thérapeute de couple Vincent Garcia, le couple a plusieurs fonctions : « Il répare les blessures d’enfance, nourrit l’autre affectivement et intellectuellement, et assure un cocon sûr. Quand il n’en remplit plus aucune, il ne peut survivre, à moins que les partenaires y trouvent des bénéfices névrotiques inconscients. »

Qu’est-ce qui peut pousser certains à rester dans un couple sans joie ? Bien souvent, la peur de la solitude, chez des personnes mal aimées durant leur enfance ou qui ont eu le sentiment d’être abandonnées. « Elles redoutent d’être confrontées à un vide intime qui créerait trop d’angoisse et sont prêtes à beaucoup supporter : ennui, agressivité, mépris… observe la psychologue Maryse Vaillant, auteure de Mes petites machines à vivre (JC Lattès). Seules, elles penseraient ne pas être aimées, donc pas aimables, situation qui raviverait leur souffrance passée. »

Isabelle, 44 ans, se souvient encore que son compagnon ne cessait de lui dire qu’elle ne retrouverait jamais personne s’il la quittait. Et elle le croyait. Le même déni se retrouve souvent chez les couples sans sexualité : « Il est fréquent d’y trouver une femme qui a peur de son désir et un homme qui a peur du désir des femmes, car il faut être deux pour accepter de ne pas faire l’amour, poursuit la psychologue. Deux encore pour accepter d’être malheureux ensemble. Les gens qui s’entendent mal s’entendent en fait sur beaucoup de choses. »

Il existe un vrai lien entre les partenaires qui vivent dans le conflit, dans l’ennui ou dans l’absence de sexualité : « Il s’agit de personnes souffrant de grande fragilité narcissique, avec des difficultés à gérer une tension interne, explique Vincent Garcia. Ils coupent le courant à leurs émotions, raison pour laquelle ils ne repèrent pas, pendant des années, que leur couple va mal. »

Un constat que fait Jean-Christophe, 54 ans, parti après vingt années de mariage. « J’ai été dans la dynamique pendant dix ans sans m’interroger – on se rencontre, les enfants arrivent, on bosse comme des fous – et malheureux pendant dix ans, mais je ne le savais même pas. Je ne pouvais pas me poser la question, car c’était remettre trop de choses en cause. Pourtant, mes amis s’inquiétaient, s’étonnaient de me voir supporter les crises, les humiliations. Je ne les écoutais pas. Et puis, un jour, l’un d’entre eux m’a demandé ce qui me retenait de partir. Je n’ai rien trouvé à lui répondre. Et je suis parti. »