ASCENSEUR POUR LE DÉSIR

Un soir, alors que j’ai cru entendre une voix de fille, j’ai carrément épié au sol, l’oreille posée sur un verre à bière retourné sur le parquet (j’avais vu ça dans un film). En réalisant ce que j’étais en train de faire (n’importe quoi), j’ai décidé d’agir. J’allais le prendre en main, moi, le destin.

Le lendemain, j’étais devant sa porte, prête à l’inviter sur ma terrasse pour un apéro où on ne ferait pas que regarder les étoiles. Sauf que, au moment où je me suis lancée, j’ai constaté qu’il n’était pas seul. Gros blanc. J’étais gênée. Lui aussi. La fille a rappliqué. Ah, il voulait justement me présenter Tina qui allait emménager chez lui. « Génial », lui ai-je dit. Ils étaient ensemble depuis deux ans. Tina, c’était qui, celle-là ? Qu’elle s’achète un prénom ! Comment avais-je pu me faire un film pareil ? Et dire que je me farcissais Vivaldi à la guitare électrique depuis des mois pour que monsieur s’entraîne et épate « Tina ». Mais quelle conne !

C’était mieux ainsi. Désormais, c’était leurs engueulades que je guettais. Et, secrètement, ça me faisait beaucoup de bien. Le soir de la Fête de la musique, comme chaque année, j’ai fait le tour des concerts du quartier. L’air était doux, encore tiède malgré les 2 heures du matin. Lorsque je suis rentrée, qui vois-je, comme un mirage, dans le hall, assis sur les marches ? Hugo avec sa guitare, à la porte, sans clés ni téléphone. Il attendait Tina qui était sortie de son côté. On a discuté un moment. Il se faisait tard, j’étais fatiguée, alors, je lui ai proposé de venir patienter chez moi. Sans arrière-pensée, je le jure ; je m’étais fait une raison. Dans l’ascenseur, on s’est regardés intensément. On pouvait entendre nos deux respirations s’accélérer. Lui comme moi avions déjà compris quelle serait la suite du programme. Il prit mon visage entre ses mains et y déposa ses lèvres tout doucement. C’était chaud et parfumé, le goût du bonheur. Je voulais y retourner. Ses doigts parcouraient ma nuque, mon cou, mes seins, chaque partie de mon corps frémissait. Je me sentais chez moi, comme si nous nous connaissions depuis toujours. On s’est fixés à nouveau en silence ; un instant suspendu avant la fougue. D’un coup, il me plaqua contre la paroi gauche de la cabine, précisément là où se trouvent les boutons. Les portes s’ouvraient, l’ascenseur crissait, et moi je m’abandonnais aux caresses et aux baisers affamés d’un Hugo brûlant. Je ne pensais à rien d’autre qu’à cet appétit animal qui s’était emparé de nous, le désir boulimique de ceux qui ont attendu trop longtemps.

MÉCANIQUE DES RÊVES

Ça devait faire un bon quart d’heure que nous étions arrivés au septième (ciel), mais le plaisir était trop fort pour être stoppé là. La peur d’être surpris dans cet immeuble où seuls les bruits sourds de la nuit tintaient décuplait mes sensations. C’est encore haletants, le pantalon en accordéon et la robe en l’air que nous nous sommes effondrés sur mon canapé. Il m’a prise dans ses bras et a commencé à me cajoler avec une infinie tendresse. On a refait l’amour. Puis on a parlé, rigolé, écouté de la musique. A aucun moment nous n’avons évoqué Tina. Comme si nous n’avions pas une minute à perdre, cette nuit était la première, mais aussi peut-être la dernière. Et on a encore fait l’amour, cette fois, dans mon lit. On aurait dit un vrai couple tellement nos gestes étaient précis et naturels. Pour vérifier que nos peaux parlaient vraiment bien le même langage, on a recommencé avant de s’endormir, épuisés, au petit matin. Lorsque je me suis réveillée, il était parti, mais des chouquettes m’attendaient sur le palier avec ce mot : « Magique ».

Après cette nuit torride, ce fut assez bizarre de se croiser en faisant comme si de rien n’était. Surtout en présence de Tina. Je me sentais un peu bitch sur les bords… mais je n’avais aucun regret. C’était notre nuit, notre secret. J’évitais quand même de prendre l’ascenseur avec elle. Il fallait bien qu’on l’assouvisse, ce désir, depuis le temps qu’il bouillonnait. D’autant que nous n’attendions plus rien l’un de l’autre désormais. Cela avait été un moment hors du temps, complètement fou, mais il était passé. Je sentais toujours beaucoup de complicité entre nous, mais plus d’envie. Cette nuit, aussi délicieuse fût-elle, m’avait guérie de lui. Juste, maintenant, à chaque Fête de la musique, j’ai des images d’ascenseur plein la tête.