Aucune caresse n’est honteuse
Jusqu’à l’âge de 5-6 ans, tous les enfants explorent leur corps de la tête aux orteils, en passant par le sexe, avec le plaisir d’expérimenter toutes sortes de sensations. C’est le moment de leur donner les repères qu’ils intégreront pour la vie : le plaisir est une bonne chose et leur corps est à eux. Ce qui implique de ne pas s’offusquer, de ne pas gronder l’enfant qui se touche, et, surtout, de lui expliquer que personne, ni un adulte ni même un copain ou une copine, n’a le droit de toucher son corps s’il (ou elle) n’en a pas envie. La difficulté est de faire comprendre qu’aucune caresse n’est honteuse, sauf si elle est imposée. Il faut également faire passer le message que la pudeur et l’intimité sont indispensables. Pas question de laisser l’enfant se caresser devant tout le monde, pas plus qu’il n’a à apporter son pot au milieu du salon. « Les adultes ne respectent pas suffisamment l’intimité de l’enfant, s’insurge Frédérique Gruyer, psychosexologue. Ils rentrent dans la salle de bains sans frapper, font des commentaires égrillards sur la poitrine naissante d’une fillette… Ce sont des agressions apparemment anodines, mais tout ce qui est grivois contribue à perpétuer l’idée que la sexualité est “honteuse”. »
Bref, si découvrir son corps en le caressant est un délicieux secret, on ne le partage pas avec n’importe qui, comme le confirment d’ailleurs les hommes : « Je sais que les femmes ont beaucoup de plaisir en se masturbant, mais je ne l’ai jamais vu. Ma copine a toujours refusé de le faire devant moi. » « Jouir, c’est s’abandonner, explique Serge Tisseron. Donner à voir son abandon est une marque de confiance absolue que bien des couples se refusent. Le mythe de l’orgasme simultané des deux partenaires, qui serait le nec plus ultra, permet surtout de ne rien donner à voir, puisque les deux partenaires sont trop concentrés sur leur propre plaisir pour voir celui de l’autre. »
Si l’on en juge par le nombre de films pornos ou de sites Internet dédiés au sexe qui s’ouvrent sur une scène frénétique de masturbation féminine, force est de constater que celle-ci tient une place de choix dans les fantasmes masculins. Les images sont pourtant bien peu conformes à ce qui se passe dans la réalité : « C’est parce que l’on retrouve ici la “mâle peur”, souligne Gérard Leleu. L’homme voudrait s’approprier le plaisir féminin, en être le seul initiateur, tout en ayant l’intuition que ce plaisir est extraordinairement puissant. Dans son imaginaire, la femme ne peut se caresser qu’avec violence, comme si elle était possédée. » Qui ne se souvient de la fameuse scène du film L’Exorciste où la jeune femme possédée par le démon se masturbe avec un crucifix, les yeux exorbités ? « Un fantasme du cinéaste ! rit le révérend père Belot. Après de nombreuses années d’exorcisme, je peux vous affirmer que je n’ai jamais vu une possédée se masturber devant moi. Tant mieux d’ailleurs, cela m’aurait beaucoup gêné. En revanche, qu’une femme se masturbe chez elle, je m’en fiche complètement… Mais je ne reflète certainement pas la position dominante de l’Eglise en vous disant cela. »