Naît-on pervers narcissiques ou le devient-on en grandissant? Et pourquoi? Yvane Wiart, chercheuse spécialiste du sujet, répond aux interrogations.

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L’étiquette de pervers narcissique (PN) est devenue très à la mode, au point de sembler être la seule susceptible de retenir l’attention lorsque l’on parle en réalité de violence psychologique. Il n’y a pas si longtemps, on ne qualifiait de pervers que le pervers sexuel et on finissait même par en rire avec le Pervers Pépère de Gotlib. Concernant la violence dans le couple, on évoquait les maris violents et les femmes battues, car seule la violence physique semblait susceptible d’être reconnue comme faisant des victimes.

C’était une manière très étroite de concevoir la violence interpersonnelle et les dégâts qu’elle entraîne. Mais aujourd’hui, on semble tout mélanger, violence physique et violence psychique sous l’appellation pervers narcissique, ce qui peut être ennuyeux car s’il est vrai que la violence physique s’accompagne toujours de violence psychique, l’inverse n’est pas vrai. Un homme, aussi bien qu’une femme on a tendance à l’oublier, peut être violent psychologiquement sans jamais commettre d’agressions physiques.

« Sont-ils nés comme ça? »

Qualifier quelqu’un de pervers narcissique est une condamnation morale de sa personne et pas seulement de ses comportements. L’individu est jugé intrinsèquement mauvais, pervertissant les règles de bonne conduite sociale. Il est narcissique car il semble ne penser qu’à lui, se servant d’autrui pour obtenir satisfaction de ses propres besoins, transformant l’autre en objet devant se comporter selon son bon vouloir, dans une absence totale de reconnaissance et d’empathie pour ce qu’il lui fait vivre. Mais pourquoi ces pervers manipulateurs agissent-ils ainsi? Sont-ils nés comme ça ou ont-ils appris à le devenir? Selon la manière dont on répond à ces questions, on envisage ou non une rédemption possible, ou plus prosaïquement une prise en charge thérapeutique, avec un espoir de succès, et ce n’est pas rien.

Ceux qui ont l’habitude de me lire et qui commencent à avoir une idée assez claire de la manière dont fonctionne l’attachement, se douteront sans doute de ma réponse, mais il me paraît utile de la détailler dans ce cas précis. Bowlby, créateur de la théorie de l’attachement, n’est pas le seul psychiatre à avoir évoqué la notion de dissociation, ou de clivage, pour expliquer le genre de phénomène typique des descriptions de pervers narcissiques, anges en public et démons en privé, chic type ou nana sympa toujours prêt(e) à rendre service, conjoint idéal, qui se métamorphose en son inverse sans prévenir et le plus souvent à huis clos. Mais d’où vient cette dissociation?

Lorsque les parents ne satisfont pas les besoins relationnels d’écoute, de compréhension et de soutien de leur enfant, celui-ci peut rarement se permettre de leur en vouloir en proportion de la souffrance qu’il ressent. Il ne peut pas non plus les fuir, pour se tourner vers d’autres personnes susceptibles de satisfaire ce besoin d’attachement, car il est assez peu courant d’avoir des parents de rechange. Le psychisme humain est alors ainsi conçu que lorsqu’une menace à son bien-être pèse sur lui, il a la capacité de s’anesthésier pour oublier la douleur et continuer à supporter au maximum une situation à laquelle il ne peut échapper.

Le mécanisme consiste ici pour l’enfant à séparer automatiquement et inconsciemment l’image négative de ses parents, de l’image positive qu’il tient à conserver d’eux afin que cela soit vivable pour lui. Cette image positive sera d’autant plus étayée chez lui que ses parents auront pris soin de justifier leur comportement d’abus et/ou de négligence affectifs, voire physiques, en culpabilisant leur enfant ou en les justifiant comme mesures éducatives pour son bien.

Ce fonctionnement psychique dissocié ou clivé se maintient à l’âge adulte, en l’absence de toute remise en cause, déclenchée généralement par une amélioration des conditions de vie permettant de mettre le passé en perspective. Il aboutit à l’alternance de deux types de comportements et de discours, selon les circonstances et les personnes en présence. D’un côté l’individu fait preuve d’une attitude charmante et charmeuse, pour s’attacher les bonnes grâces d’autrui, selon les mêmes modalités efficaces dans son enfance pour obtenir celles de ses parents ou éviter leur rejet. De l’autre, par imitation de l’attitude et des agissements de ses parents maltraitants envers lui, il duplique ce qu’on lui a fait subir et qu’il a dû apprendre à trouver normal, voire bon pour lui.