Au bout de quinze ans d’humiliation et de dévalorisation, Mathilde trouve enfin le courage de partir. « Je suis allée chercher les enfants à l’école et j’ai pris la fuite », raconte-t-elle. Il lui faudra des années pour se remettre de ce processus destructeur. Elle en a fait un livre avec deux coauteurs qui ont subi le même sort (J’ai aimé un pervers, écrit avec Carole Richard et Amélie Rousset, Eyrolles, 200 p., 15 euros).
Isabelle Nazare-Aga, thérapeute cognitivo-comportementaliste (auteur des Manipulateurs et l’amour, Les Editions de l’homme, 2004) n’adhère pas au concept de pervers narcissique théorisé par la psychanalyste. Elle parle de« manipulateur », mais c’est bien de la même personnalité qu’il est question. « Le manipulateur scanne très vite la personne à qui il a affaire. Il est extrêmement malin. Il recherche des victimes qui ont un trouble de l’estime de soi, qui ont une forte propension à la culpabilité, qui ont le syndrome du sauveur, c’est-à-dire qui veulent aider à tout prix les autres, ou encore qui souffrent de dépendance affective. »
Les manipulateurs ont un besoin viscéral inconscient de créer une dysharmonie dans l’univers familial. « Ils se nourrissent des émotions de leurs victimes, la peur, l’anxiété, la tristesse, la colère. Ils ne supportent pas le bonheur des autres », poursuit la thérapeute. Ils ont un aplomb extraordinaire, persuadent leur victime qu’ils lui sont supérieurs, ne supportent pas la critique. Ils sont à l’aise avec les mots et manient la communication à double contrainte. « Une femme manipulatrice va par exemple accuser son mari de n’être jamais là et ne pas l’aider au jardin mais, dans le même temps, lui dire qu’avec ce qu’il gagne la famille ne peut même pas partir en vacances au soleil, poursuit Isabelle Nazare-Aga. De telle sorte que, s’il travaille plus pour gagner plus, il ne pourra aider sa femme. Et s’il est plus présent à la maison, il ne pourra pas emmener sa famille en vacances. » Dans tous les cas, il a tort.
Pourquoi le pervers narcissique agit-il ainsi ? Psychanalyste, Jean-Charles Bouchoux, auteur d’un livre remarquable sur le sujet (Les Pervers narcissiques, Eyrolles, 2011), postule que son comportement l’empêche de devenir fou. « Il projette sa mauvaise image de lui-même sur un autre qu’il doit détruire », explique-t-il.
En grandissant, l’enfant – dans un processus de maturation normal – prend conscience de l’autre. L’incapacité à intégrer pleinement cette étape conduit aux psychoses, c’est-à-dire à l’indistinction entre soi et le reste du monde ainsi qu’aux frayeurs que sont les angoisses de morcellement, de dissociation, dues au sentiment que l’autre est détenteur d’une partie de soi. « Le pervers narcissique a été empêché de naître à son image. Il utilise l’autre comme un miroir dont il retire les bons aspects et vers lequel il projette ses mauvais penchants, espérant combler son vide et ainsi échapper à la psychose qui le guette en cas de régression plus profonde », explique le psychanalyste. Au risque de pousser sa victime dans une confusion extrême et dans une dépression qui peut la conduire jusqu’au suicide.
