RESTER VIERGE, C’EST REFUSER DE FAIRE COMME TOUT LE MONDE

Toutes s’accordent sur ce point : le refus de faire comme tout le monde, d’accepter une loi implicite selon laquelle, passé 17 ans, on se couche. En cela, elles reprennent un symbole vieux comme le monde : celui de la vierge héroïque. Dans son essai « La Virginité féminine, mythes, fantasmes, émancipation » (éd. Odile Jacob), l’historienne Yvonne Knibiehler revient sur ce personnage de la vierge déifiée, au-dessus de la plèbe, déesse grecque ou pucelle en armure, nonne qui préfère se consacrer à la vie spirituelle qu’à l’enfantement. Il faut un certain courage pour résister à l’énorme pression qui pèse sur les jeunes filles d’aujourd’hui : « Il y a un discours ultra machiste selon lequel les pauvres garçons souffrent si on ne leur fait pas plaisir ! L’homme serait comme un animal. Les filles sont culpabilisées et elles se disent qu’elles doivent se conformer à ses attentes. C’est encore et toujours à elles d’être les garantes de la morale, de prendre la pilule, de s’habiller décemment. »

LA VIRGINITÉ COMME ULTIME RÉBELLION ?

La virginité serait l’ultime rébellion face à une société ultra normée où le sexe a pris une place obsessionnelle… Dans son livre, Yvonne Knibiehler y voit une forme de résistance à une domination masculine qui n’a fait que changer de masque avec la révolution sexuelle : « Celle qui résiste, alors qu’elle peut prendre la pilule, avorter, est automatiquement qualifiée de coincée, de bégueule, d’allumeuse. » Ces immaculées mettent-elles le doigt sur une grande hypocrisie de notre époque ? « Dire qu’on veut rester vierge peut aussi être un discours que l’on construit pour pallier un blocage, remarque Catherine Solano. On dit qu’on se préserve, alors que c’est une stratégie d’évitement d’un autre problème. Mais c’est vrai que la virginité dérange. Elle nous interpelle sur des questions que l’on n’a pas envie de se poser. Cela nous rappelle peut-être que non, la sexualité ce n’est pas rien, que non, ça ne va pas cette société où sur les plateaux télé on encense une actrice porno, alors qu’on moque une fille qui serait restée vierge. » Etre vierge, c’est refuser symboliquement notre modèle occidental d’épanouissement à tout prix, ou tout au moins l’interroger. « Beaucoup de mères ont refait leur vie, affichent une sexualité triomphante, analyse, par ailleurs, Béatrice Copper-Royer. C’est nouveau et cela rend les filles encore plus inquiètes devant leur propre sexualité. Elles s’interrogent, elles craignent d’être moins bien que leur mère. » Et leurs inquiétudes sont renforcées par celles des adultes. Sans le vouloir, ils contribuent à rendre la sexualité plus angoissante.

POURQUOI VOULOIR RESTER VIERGE À TOUT PRIX ?

« J’ai été très étonnée, en faisant mon rapport, de l’écart entre les peurs des adultes et la réalité, explique Yaëlle Amsellem-Mainguy. Les adultes paniquent parce que la sexualité de leurs enfants leur échappe, ils fantasment sur la pornographie, sur Internet, sur l’enfance qui ne serait plus protégée… Mais qu’ils se rassurent, les ados ont des valeurs très fortes. Le discours normatif continue de se dire, d’être très présent, mais autrement. Cela fait des décennies que, grâce notamment à la généralisation de l’enseignement secondaire, l’âge moyen du premier rapport reste autour de 17 ans. Et la France a un niveau de fécondité adolescente particulièrement bas. La jeunesse sexuelle est assez sage. » Entendez : il n’y a pas vraiment eu de révolution sexuelle ! Alors, pourquoi avoir si peur de la sexualité, vouloir rester vierge à tout prix ? « Je crois, reprend Nathalie, qu’au fond ce n’est pas tant que je veuille rester vierge, je n’ai pas peur de l’acte sexuel. Ce que je veux, c’est qu’on attache de l’importance à ma virginité. Qu’on comprenne que je vais donner quelque chose de moi, perdre un peu de moi. » En cela, elle n’est pas différente de ses camarades pré ou post-dépucelage. « Il y a un grand idéal du premier rapport, confirme Yaëlle Amsellem-Mainguy. Les filles veulent le mettre en scène, avec des bougies, du parfum. Elles veulent le vivre le mieux possible. »

PERDRE SA VIRGINITÉ, UN RITE DE PASSAGE À L’ÂGE ADULTE

Alors, ce qui différencie ces jeunes femmes vierges des autres, c’est plus le hasard des rencontres, le manque de confiance en soi, qui fait qu’on a peur de l’autre, que l’attachement à des valeurs. « Très peu font n’importe quoi la première fois, assure Béatrice Copper-Royer. Pour toutes, c’est un moment capital. Et si c’est l’histoire d’un soir, c’est en général mal vécu même si ce n’est heureusement pas déterminant pour l’avenir. Je pense que toutes ont conscience que c’est peut-être le dernier rite de passage qu’il nous reste. Après, on n’est sans doute pas encore un adulte, mais on n’est plus un enfant. » Sondage à la sortie des lycées. « Vierge, et alors ? » répondent les ados. Pour elles, l’important, c’est de « se donner au bon moment avec un garçon qui est prêt lui aussi ». La honte ? Ce n’est pas d’être vierge tard, c’est de « l’avoir fait » trop tôt. « J’en connais une, elle a été “déviergée” à 12 ans parce qu’elle voulait frimer. Après, elle a mal tourné… Ça, c’est la honte », dit Maureen, 16 ans. « C’est cela la première cause d’exclusion d’un groupe, avance Yaëlle Amsellem-Mainguy. Il n’y a aucune solidarité féminine pour celles qui le font de façon débridée. » Les temps n’ont pas changé. Ou si, peut-être : on est drôlement sérieux quand on a 17 ans.