Entre Julie et Philippe, ça a collé au premier rendez-vous. Le petit problème, c’est qu’ils n’étaient pas ceux qu’ils croyaient ! 

J’étais en avance. Mais j’essayais d’arriver en retard. Je ne voulais pas être la première à attendre dans le bar. Trop stressant. Sur le chemin, j’avais beau marcher à petits pas et faire semblant de m’intéresser à chaque vitrine, le temps ne passait pas. Plus l’heure de le rencontrer approchait, plus j’appréhendais. Jusque-là, j’étais impatiente. Un peu flippée, mais surtout curieuse et excitée. À présent, j’étais juste terrorisée. Ça me faisait toujours ça, les premiers rendez-vous.
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Sept minutes de retard. C’était mieux que rien. Moi et mes talons hauts étions devant le bar. Tout à l’angoisse qui me paralysait, je m’efforçais de paraître cool, la nana naturelle et détendue. Nonchalamment, je jetais un oeil dans le troquet à sa recherche – le comptoir, la salle, les tables, je ne le voyais pas. Est-ce que j’allais au moins le reconnaître ? Je ne me souvenais de sa tête que très vaguement. On s’était croisés une semaine plus tôt, aux 30 ans d’un ami d’amie. C’était dans le noir et j’avais un peu abusé du champagne. Je fêtais aussi la fin d’un projet qui avait mobilisé toutes mes forces pendant de longs mois. J’avais été surprise de recevoir son adorable e-mail, au bureau, le lundi matin. J’avais, paraît-il, glissé ma carte de visite dans sa poche. C’est vrai que je la refilais un peu à tout le monde tant j’étais fière d’être passée « chef » quelques semaines plus tôt. Mais là, je m’étonnais de mon attitude si cavalière. Et, surtout, je n’en avais aucun souvenir. Embarrassée par mon amnésie, je n’avais pas cherché à en savoir plus et j’évitais soigneusement d’aborder tout ce qui concernait cette soirée.

Tout à coup, mon téléphone sonna. C’était lui. En fait, il était assis à la table juste devant moi. « Où ça ? – Juste là. » Ah ? Problème : il était blond, presque chauve. Dans mes souvenirs, il était brun, très bouclé. Avais-je vraiment tant picolé ? Son regard confus semblait prouver que, lui aussi peinait à me reconnaître. « Philippe ? » demandai-je. « Julie ? » répondit-il. Gênés, on s’est fait la bise comme deux vieux copains, en sachant pertinemment qu’on ne s’était jamais vus de notre vie. Bizarre. Debout l’un en face de l’autre, on se dévisageait en silence, un sourire flou au coin des lèvres ; aucun de nous deux n’osait faire part à l’autre de son incompréhension. Pourtant quelque chose clochait, c’était manifeste. On s’est assis, et on a commencé à se parler comme si de rien n’était. L’atmosphère se réchauffait. Je me suis demandé si ce n’était pas un canular, s’il n’y avait pas une caméra cachée quelque part et un pote blagueur qui allait sortir de derrière le bar. Mais non, rien. Est-ce que je devenais folle ? Je retrouvais bien la personne avec laquelle j’avais échangé une correspondance ininterrompue pendant toute la semaine. Celle-là même qui m’avait fait vibrer avec de jolis mots, cet homme drôle et plein de charme, et qui buvait encore un bol de Nesquik chaque matin. Un détail qui ne s’invente pas. Pas de doute, c’était lui, « mon » Philippe.

N’en pouvant plus de ce mystère, je me suis jetée à l’eau la première en lui faisant part de cette énigme ubuesque. Mais j’étais bien avancée : lui non plus n’y comprenait rien. Il s’attendait à revoir une grande brune, j’étais une petite blonde. « Pas que ça me déplaise », insista-t-il… On a tourné le problème dans tous les sens, ce qui nous a valu de grands éclats de rire. Mais aucun éclaircissement. Manifestement, ce vendredi soir-là, nous n’étions pas à la même fête. Alors, qui avait bien pu lui donner ma carte de visite ? Une cliente ? Une amie ? C’est dans ce brouillard vaporeux que nous nous sommes quittés après un long et délicieux baiser tout contre mon Digicode.

« GÊNÉS, ON S’EST FAIT LA BISE COMME DEUX VIEUX COPAINS, SACHANT PERTINEMMENT QU’ON NE S’ÉTAIT JAMAIS VUS DE NOTRE VIE ».