LA MAGIE D’UNE CARTE DE VISITE

Cheveux ou pas, Philippe me plaisait. Et ses nombreux messages attestaient que c’était réciproque. Je n’allais pas m’attarder à jouer les Sherlock Holmes sur cette histoire de carte de visite. Le destin nous avait réunis, point. Seulement, quelques jours plus tard, j’ai retrouvé ma cousine adorée, Lisa, pour nos brunchs débriefs habituels. Il me tardait de tout lui raconter. Mais c’est elle, de mauvaise humeur, qui attaqua sur un type qu’elle avait croisé à une soirée et dont elle attendait encore l’appel – « quel salaud, n’empêche ! ». J’écoutais d’une oreille, guettant le moindre bip de mon Samsung. D’un coup, un mot ou plutôt trois mots me firent sursauter : « carte de visite ». « Comment, hein, quoi ? » ai-je lancé un peu fort en me redressant, le sourcil froncé. « Oui, je lui ai glissé ma carte de visite dans la poche. Et alors ?, se défendit-elle. Tu trouves ça nul ? » En deux secondes, le puzzle s’est mis en place dans ma tête : à tous les coups, cette buse s’était trompée de carte. Elle lui avait remis la mienne – je me revoyais la lui tendre en fanfaronnant quelques jours plus tôt -, en pensant lui donner la sienne. J’espérais encore me tromper : « Et il s’appelle comment, ton gars ?, lui ai-je demandé, l’air détaché. – Philippe. – Et c’était quand ? – Il y a quinze jours, m’enfin on s’en fout !, s’énerva-t-elle. – Il est blond ? – Bah oui, comment tu sais ? » Ça faisait beaucoup de coïncidences. Il y avait une chance sur un million que cette situation se présente… et c’était tombé sur nous. Mais pourquoi ? !

Ce jour-là, je n’ai rien dit à Lisa. Ni de ma rencontre fabuleuse, ni du fait que « mon » Philippe était en fait « son » Philippe. Je n’ai pas pu. Je craignais sa réaction. Je n’avais rien à me reprocher, pourtant je culpabilisais, comme si je la trahissais. Je n’ai rien dit à Philippe non plus. J’ai voulu, et puis je me suis lâchement rétractée, de peur qu’il ne la recontacte. Nous étions si bien tous les deux. On passait nos journées ensemble. Et nos nuits. Égoïstement, je ne voulais pas tout gâcher. Mais j’avais des difficultés à profiter pleinement de ce que je vivais. J’étais mal à l’aise dans mon silence. Je ne pouvais pas bâtir une belle histoire sur un mensonge, ni éviter inlassablement Lisa qui ne comprenait pas pourquoi je l’esquivais soudainement. Je l’estimais trop pour ça. Et puis, si mon histoire devait durer, ils allaient inévitablement se rencontrer.