Quand nous sommes disponible

D’abord, préexiste évidemment une rencontre avec celui ou celle qui déclenchera la secousse. Mais cela ne suffit pas : il faut être perméable aux effets du hasard, sans pour autant vouloir le forcer. Le psychanalyste Roland Gori, auteur de Logique des passions (Flammarion, “Champs”, 2005), éclaire la dimension irrationnelle du phénomène en citant Picasso : « “Je ne cherche pas, je trouve.” La logique est ici la même. Quand on cherche le coup de foudre, il est impossible de le trouver, parce que le volontarisme échappe aux conditions psychiques de ce sentiment amoureux très puissant, de cette forme de folie, de mirage qui nous saisit à la vue de l’autre. »

En fait, pour pouvoir l’expérimenter, il faut nous sentir disponible, inconsciemment dégagé de toute attache, hors de tout volontarisme. Quand Louise, consultante de 37 ans a rencontré Patrick à Hong Kong, elle n’avait pas du tout l’intention de tomber amoureuse : « Je démarrais un tour du monde avec un copain, et je ne cherchais vraiment pas une rencontre sentimentale. Je voulais me balader, découvrir d’autres horizons. J’avais envie de voyager. J’étais libre comme l’air, très disponible dans ma tête, et nous en étions au début de notre périple. Et puis, Patrick est entré dans ce bar où j’étais allée avec une amie qui partageait un appartement avec lui.

Dès que je l’ai vu, une petite voix en moi a murmuré un truc que je trouve d’ordinaire ignoble quand je l’entends chez les autres : “Je le veux.” Il m’était bizarrement familier. Il a commandé deux bières d’emblée, “à la chinoise”. Il se préparait à “se ruiner” consciencieusement la tête. Il ne m’avait même pas remarquée, je pense. Il s’est assis à côté de moi et j’ai senti son parfum. C’était comme une confirmation : il portait Pour un homme de Caron, le parfum de mon père. Nous avons bu, bien discuté. Nous nous sommes embrassés, je crois. Je ne m’en souviens plus très bien. Nous sommes partis ensemble en taxi. Nous étions ivres. Pendant le trajet, il m’a tapé légèrement sur la cuisse en riant : “Il me faudrait une femme comme toi, en fait.” Puis le taxi m’a déposée à l’hôtel.

Et le lendemain, nous sommes partis avec mon copain. Je n’étais pas triste. Je me suis dit qu’il fallait faire confiance au destin. Deux mois plus tard, à Paris, un soir, alors que j’étais au bureau, Patrick m’a téléphoné. Il était revenu en France, s’était souvenu de l’endroit où je travaillais, avait consulté l’annuaire. Nous nous sommes revus. Et voilà. Dix ans plus tard, nous vivons ensemble et nous avons deux enfants. »

Père lui aussi de deux enfants, Martin, ingénieur de 36 ans, se souvient avoir vécu deux ou trois coups de foudre, dont un partagé, il y a une dizaine d’années. L’aventure s’est très vite arrêtée : « Pendant quatre jours, tout a été merveilleux. Puis nous nous sommes aperçus que nous n’avions pas les mêmes centres d’intérêt. J’étais triste : elle était jolie, intelligente, mais je voyais bien que ça ne pourrait pas fonctionner. Elle était engagée politiquement, voulait m’entraîner dans ses meetings. Moi, j’étais un jeune “branleur” que tout cela n’intéressait absolument pas.

Malgré tout, je garde un excellent souvenir de cette histoire. » Il a épousé une jeune femme dont il est tombé petit à petit amoureux, et ne pense pas que l’expérience se reproduira : « Aujourd’hui, je suis marié. Je ne crois pas que cela pourrait m’arriver à nouveau, parce que je suis heureux et épanoui dans ma vie personnelle et familiale. » Martin est comblé. Confirmation de Didier Lauru : « Le coup de foudre demande d’être ouvert à l’autre. Nous ne sommes pas tout le temps dans cette disponibilité-là. » Si nous sommes amoureux de quelqu’un, si nous sommes profondément bien avec lui, rien ne peut se passer.