–  Est-ce un désir compréhensible ?
Sophie Cadalen. Oui, mais malheureusement impossible à combler. A trop rêver de l’âme sœur, on se met dans une posture figée, presque mortifère. On attend une concordance parfaite, un amour pour toujours, ce qui est à l’inverse de la vie, qui est mouvement. Une relation réclame des efforts, se transforme. La croyance en l’âme sœur nous épargne toute idée de mouvement : on se reconnaîtra, on s’accordera, on restera pour la vie comme ça. Cela excite nos fantasmes les plus enfouis : atteindre une rassurante immobilité, ne plus se poser de questions.

– Quel risque court-on à être obsédé par l’âme sœur ?
Sophie Cadalen. Celui de passer à côté d’une histoire bien réelle ! Le partenaire rêvé est paré de toutes les vertus : il nous rendrait fort, nous comprendrait, nous compléterait. Evidemment, personne ne peut remplir cette fonction-là. D’où un risque d’amère désillusion quand on vit une histoire pour de vrai. En outre, on ne se place pas dans une démarche active mais attentiste. On espère un résultat qu’on a dessiné d’avance, auquel l’autre, forcément, ne peut pas répondre. Alors qu’une relation authentique perturbe les idées qu’on se faisait sur soi, sur l’amour. Ainsi on imagine souvent que la rencontre sera évidente. Non, pas du tout. Dans la vie, quand deux personnes débutent une histoire, cela s’accompagne souvent de résistances. On se dit : « Ce n’est pas le moment, il n’est pas fait pour moi, cette relation ne marchera jamais. »

– Vous voulez dire qu’on ne va pas forcément avec celui qui nous correspond le mieux…
Sophie Cadalen. Tout à fait. Il y a un fossé énorme entre ce que l’on croit vouloir et la réalité de nos élections. On s’est tous trouvés dans cette situation où une amie vous dit : « Je connais quelqu’un de parfait pour toi ! » Mais, lors de la rencontre, il ne se passe rien. Et quand on finit par vivre une vraie histoire, c’est avec un partenaire inattendu ! Répétons-le : une relation amoureuse vient toujours nous déranger. Elle se déroule autrement que prévu. Notre partenaire n’est pas celui qu’on avait rêvé, on ne se comporte pas comme on s’y attendait. Normal : c’est davantage l’inconscient que le conscient qui choisit notre partenaire.

– Pourquoi dites-vous que la quête de la « bonne personne » nous fige dans une identité statique ?

Sophie Cadalen. On se fait toujours une idée assez précise du conjoint idéal. Ce portrait type correspond finalement à l’image que l’on a de soi. Du moins à ce moi que l’on croit être. Car, comme l’a dit Freud, il n’y a pas plus inconsistant que notre moi.

On se pense d’une certaine façon et il suffit d’un rien pour se découvrir différent. Si une personne s’envisage comme un bloc parfaitement défini, avec des goûts et des dégoûts très précis, elle ne pourra pas avoir la disponibilité que requiert l’aventure amoureuse. La rencontre nous découvre tout autre ! Par exemple, on croit qu’on est fantasque, artiste, et l’autre vous aime parce que vous êtes rassurant et stable ! Ou on tire fierté d’être sérieux, mais l’autre se dit séduit par votre drôlerie ! On n’est jamais aimé pour les raisons pour lesquelles on croit être aimable.