Lien d’amour, lien de haine

Parfois, le couple se trouve dans une confusion des sentiments qui le pousse à attribuer à l’union la cause d’un malaise purement personnel. Vincent Garcia : « Non seulement la rupture ne règle rien, mais elle peut conduire à la dépression et au regret, une situation que je vois fréquemment. Mieux vaut prendre le temps de se demander : “Et si c’était moi qui allais mal ?” »

Cécile, 38 ans, raconte : « Je cachais aux autres, mais aussi à moi-même, ce que je vivais. Je me souviens d’un déjeuner entre copines où toutes se plaignaient de leur compagnon et, moi, je vantais les mérites d’homme d’intérieur du mien – ce qu’il est effectivement, par maniaquerie –, occultant totalement ce qu’il me faisait vivre. »

Vincent Garcia relate ce curieux dialogue qui a eu lieu dans son cabinet. La femme : « Tu n’es qu’une merde, je te hais, espèce de salopard ! » Et l’homme de répondre : « Moi aussi, tu sais que je t’aime. » Cet échange, digne d’une chanson de Gainsbourg, en dit long sur cette union de vingt-deux ans. « L’autre devient le mauvais objet, le dépositaire de l’agressivité, décortique le psychanalyste. Le lien d’amour se confond avec le lien de haine, et il est d’une solidité redoutable. Enfermé dans son microcosme, le couple n’arrive pas à envisager une issue. »

Quand l’inconscient mène le bal, les raisons objectives de se séparer n’ont d’influence sur personne. Marie, 42 ans, qui a connu dix années d’un couple infernal, souligne l’influence de sa mère : « J’avais un tel besoin de me faire reconnaître par elle. Envisager le divorce, c’était prendre le risque de lui déplaire, elle qui répétait : “On ne défait pas ce que Dieu a uni”, ayant elle-même subi beaucoup d’humiliations. J’ai vécu avec l’impression d’un dédoublement de la personnalité entre mes positions féministes et ce que je subissais. Une force au-dessus de moi me clouait dans cette situation, et seule une thérapie m’a permis de m’en sortir. »

Prenons le cas extrême de la femme qui reste avec un compagnon violent : « Certaines ne reconnaissent l’amour qu’à la morsure de la douleur, analyse Maryse Vaillant. Elles ont besoin de vivre dans le drame pour se sentir exister. Leur mère et leur grand-mère leur ont transmis ce message implicite : “L’amour fait mal”, et elles y souscrivent inconsciemment. »

Ces couples sont alors condamnés à vivre ensemble puisqu’ils y trouvent leur compte sur le plan névrotique. Jusqu’à ce qu’un événement, une phrase, le regard d’un tiers, une rencontre viennent bousculer le scénario : « Une étincelle fait tilt dans l’inconscient, note la psychanalyste Sophie Cadalen, auteure avec Sophie Guillou de Tout pour plaire et toujours célibataire (Albin Michel). C’est comme une déflagration qui permet de remanier autrement l’organisation psychique. Souvent, le déclic n’a pas lieu sur un terrain vierge, la rupture se préparait depuis des mois, voire des années, inconsciemment, quand, soudain, la pulsion de vie l’emporte sur l’instinct de conservation qui poussait à l’immobilisme. Ce qui paraissait surhumain devient limpide, il faut partir. »

Tout se déroule-t-il à notre insu ? Pas tout à fait. Il faut prêter attention à la petite voix intérieure qui tire régulièrement la sonnette d’alarme. « Dans un couple malheureux, chacun accuse l’autre de l’infortune conjugale, évitant de se poser la seule question qui vaille : “Pourquoi est-ce que je reste alors que je ne suis pas heureux ?” remarque la psychanalyste. S’interroger sur soi, c’est déjà avoir fait une partie du chemin. » La suite s’effectuera avec l’aide d’un thérapeute, tant il est difficile de démêler les raisons inconscientes qui nous ont poussé à accepter de nous oublier pendant des années…