Au début d’une histoire, on pense qu’on aimera toujours autant l’autre, et puis, un jour, un détail, un doute… et on s’imagine que tout est fini. Et si la fluctuation des sentiments était inévitable ? Enquête et témoignages.

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Inconfort des passagers

A 20 ans, on ne voyait pas l’amour comme ça : inconstant. La faute aux contes de fées de notre enfance (« Ils vécurent heureux… »), qui mentent par omission ? Peut-être. Car c’est le genre de vérité qui ne se raconte pas mais se découvre par soi-même : on peut aimer quelqu’un pendant des années, sans l’aimer tout le temps ni à chaque instant. On rencontre un homme, on tombe amoureuse, on le pare de mille attraits, alors, on le choisit. Seulement, tôt ou tard, quelque chose nous fait douter, ouvrant une brèche angoissante. C’est la première expérience du désamour passager. Pas seulement parce qu’il n’a pas refermé le tube de dentifrice ou oublié de mettre son linge sale dans le bon panier, alors qu’on lui en a fait la remarque cinquante fois. Mais parce que, soudain, une des qualités de cet homme, qu’on croyait aimer les yeux fermés, se transforme en défaut, un aspect de sa personnalité devient rédhibitoire. Cette belle force tranquille qu’on appelait « sérénité », ne serait-ce pas plutôt du je-m’en-foutisme ? Et cette endurance au travail, un « workaholisme » déguisé ? Du coup, d’autres questions surviennent : est-elle normale, cette aversion soudaine pour ce que j’aimais ? Me serais-je trompée ? Et si c’était le premier signe que je ne l’aime plus vraiment ?

CERTAINS COUPLES N’Y RÉSISTENT PAS

Psychologue clinicienne exerçant depuis trente ans et spécialiste des difficultés des relations amoureuses, Rose- Marie Charest* est formelle : désaimer quelque temps son conjoint est normal, fluctuations et variations étant des phénomènes inhérents au concept de sentiment. « La complexité du sentiment amoureux, c’est qu’il possède plusieurs composantes paradoxales : la passion, l’intimité, l’attachement et la volonté. La passion ne dure pas longtemps. Elle se nourrit d’imaginaire et de ce qui est inconnu, comme le désir se nourrit du manque. Après ces premières années de passion et de désir, dans tous les couples, c’est l’intimité qui prend le relais, puis l’attachement, l’attachement étant proportionnel à la somme des événements vécus ensemble », précise Rose-Marie Charest. La difficulté, c’est que cette régularité de l’intimité, qui crée le lien solide d’un couple, met à mal et tue provisoirement ce qui avait favorisé l’élan originel ! Certains couples n’y résistent pas. Pour les autres, le « passage » se fait de manière plus ou moins sereine…

Léa, 31 ans, se souvient : « C’est en m’installant avec Julien que j’ai éprouvé la certitude de l’aimer, doublée du sentiment vif que oui, mais pas tout le temps ! Lorsque je le retrouvais avachi sur le canapé, plongé dans ses BD, je l’aurais volontiers trucidé ! Je crois qu’il ne faut jamais oublier pourquoi on aime quelqu’un et se le réciter comme un mantra… Sinon, franchement, je mets au défi quiconque d’aimer 24 heures sur 24 ! » Même expérience pour Sophie, 36 ans, mariée depuis huit ans : « Je ne supporte pas quand Thomas va mal, parce qu’il devient mollasson. L’envie est brutale de le secouer et, au début de notre mariage, c’est ce que je faisais, je l’agressais. Maintenant, j’ai une autre tactique. Soit je fiche le camp de l’appartement, soit je me plonge dans un bouquin. Je me referme sur moi-même comme dans une bulle. Pour autant, je n’ai jamais eu envie de quitter Thomas. Je sais que je l’aime, même quand je n’ai pas le sentiment de l’aimer ! Je sais aussi qu’il est plus facile de détruire que de construire… »

* Auteure de « La Dynamique amoureuse » (Albin Michel).

DE LA COLÈRE NON EXPRIMÉE ?

Voilà bien le genre d’histoire que les jeunes amoureux ne veulent pas entendre, car il en faut de la volonté pour aimer dans la durée. Rosalie, 54 ans, se dit « en état de veille » permanent, à la fois tournée vers l’avenir et vers le souvenir sensible et vivace du sentiment d’origine. Sagesse et maturité que la jeunesse ignore forcément. Au cours de ses consultations, Rose-Marie Charest le constate : « A 20 ans ou au début d’une relation, on est dans l’idéalisation. On ne voit pas les défauts de l’autre, ou on décrète que ce ne sont pas des défauts ! On pense que le sentiment d’amour va vivre et faire vivre la relation à lui tout seul. C’est un leurre. L’erreur la plus commune, c’est de vouloir garder et retrouver toujours la même émotion pour l’autre. » Pour autant, rien n’est inscrit dans le marbre. Une période sans éprouver l’amour ne signifie pas qu’il n’y a plus d’amour. Pour revenir au stade de la passion et du désir, on peut s’éloigner quelque temps, réellement ou dans sa tête, comme Sophie. On peut aussi entrer en conflit car, d’après notre psychologue, un des facteurs qui éteint le désir est la colère non exprimée.