Une minorité mythique

Si cela a fonctionné pour elle, cela peut-il fonctionner pour toutes ? « Potentiellement, oui, affirme le gynécologue Sylvain Mimoun, auteur de Ce que les femmes préfèrent (Albin Michel). Anatomiquement, les femmes fontaines n’ont rien qui les différencie des autres. Cela dit, elles restent une minorité à vivre cette expérience sans l’avoir cherché : de 6 à 36 % des femmes, selon les études. » Cette fourchette est très large, les chiffres incluant toutes celles à qui cela n’est arrivé qu’une fois. Car être une femme fontaine n’est pas une nature définitive. Certaines le découvrent dès le premier rapport sexuel, d’autres bien plus tard. Chez l’une, l’expulsion sera systématique ; chez l’autre, occasionnelle. La femme fontaine est plurielle. Elle n’est pas un être à part. C’est pourtant ce que l’on a longtemps cru.

« Leur rareté en a fait des déesses dans des civilisations antiques, ou des monstres dans notre culture, constate la sociologue Janine Mossuz-Lavau (La Vie sexuelle en France au Seuil, “Points”). On leur a attribué des pouvoirs magiques, ou de sorcellerie. » Comme tout ce qui sort de la norme, ce qui échappe à la compréhension immédiate, « elles sont devenues des mythes, supports de tous les fantasmes, souvent les plus malsains et bien loin de la réalité », poursuit le psychothérapeute et sexo-thérapeute Alain Héril. Cette réalité reste mal connue. Il n’existe même pas de terme scientifique pour désigner les femmes fontaines. Les premières études sur le plaisir féminin datent des années 1970, et la science en est encore au stade des hypothèses. « On s’y est peu intéressé parce que, de façon générale, on a mis du temps à reconnaître aux femmes leur droit au plaisir, explique Janine Mossuz-Lavau. Elles étaient des mères potentielles, il fallait brider leur sexualité. »

Nos inhibitions collectives expliqueraient pourquoi les femmes fontaines sont si rares. Car le silence pèse encore plus lourd pour celles dont le plaisir se manifeste avec autant de force. « Dans nos représentations collectives, souligne Alain Héril, l’homme est pénétrant et jaillissant. La femme, intérieure et mystérieuse. Tout à coup, on attribue aux femmes un terme et un fonctionnement jusque-là réservés aux hommes. Les femmes fontaines fascinent et troublent, parce que, avec elles, les frontières du genre deviennent plus floues. » Certains hommes peuvent très mal le vivre, comme si on leur volait une part de leur virilité. « D’autres, au contraire, le reçoivent comme une récompense, heureux de voir leur partenaire manifester un tel plaisir avec eux », sourit le sexothérapeute. Plus ou moins machos, plus ou moins féministes : de l’attitude des hommes dépend souvent la sérénité de leur partenaire.