Sur le terrain des violences conjugales, la lutte s’organise
Il y a plus prometteur encore. Pour la première fois, une disposition juridique se propose de traiter ces agresseurs domestiques. Attention, rien d’aussi ambitieux qu’un programme de soins qui tenterait de guérir les pervers narcissiques de leur absence pathologique de considération envers les autres. Juste un stage de « responsabilisation » imposé aux auteurs de violences conjugales, à leurs frais, comme pour les conducteurs soucieux de récupérer des points sur leur permis de conduire. Une mesure discrète, incluse sans grande publicité dans le projet de loi sur l’égalité femmes-hommes défendue par Najat Vallaud-Belkacem, la ministre des Droits des femmes. Le texte doit encore repasser devant le Sénat avant d’être définitivement adopté. Mais le principe du stage constitue, en soi, une révolution. Car il rompt avec le dogme en vigueur, selon lequel les pervers narcissiques seraient incurables, autrement dit des causes perdues.
Jusqu’ici, psychiatres et psychologues parlaient d’une seule voix, clamant haut et fort qu’il n’existe aucun traitement pour ce trouble de la personnalité. On le retrouve sous un autre nom, la sociopathie, dans la classification américaine des maladies mentales, le DSM. Pour les sociopathes non plus, pas de solution. Mais le médecin de Montpellier, le Dr Lacambre, est d’un autre avis. « Nous obtenons certains résultats avec des violeurs et des pédophiles qui pratiquent la manipulation au plus haut degré, remarque ce psychiatre référent du Centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (Criavs) de la région. On devrait pouvoir aussi amener des pervers narcissiques à remettre en question leur fonctionnement. »
« On ne naît pas pervers narcissique »
Autre lieu, même son de cloche. A l’université Paris-Descartes, la chercheuse en psychologie Yvane Wiart plaide pour la redécouverte des travaux du psychiatre britannique John Bowlby, décédé en 1990, dont elle vient de traduire en français les principales conférences. « On ne naît pas pervers narcissique, on le devient en grandissant auprès de parents qui ne satisfont pas les besoins essentiels d’écoute, de compréhension et de soutien de leurs enfants, affirme-t-elle. Cette construction de la personnalité est réversible si le thérapeute s’appuie sur ces fondements de la théorie de l’attachement élaborée par Bowlby, dont les neurosciences prouvent aujourd’hui la validité. »
Existerait-il une forme de rédemption pour les pervers narcissiques? Et, sinon, faudra-t-il se résoudre à les éliminer, comme le faisaient jadis les Inuits? Ce peuple les désigne sous le nom de « kunlangeta », des indésirables qu’autrefois on poussait de la banquise quand personne ne regardait.
Sociopath world: un blog tenu par une perverse narcissique
Ces observations anthropologiques figurent dans un témoignage inédit, publié l’été dernier aux Etats-Unis et qui vient d’être traduit en français. Celui d’une ex-avocate américaine devenue professeure de droit, qui raconte, dans le détail, comment vit, raisonne et agit un pervers narcissique en prenant comme exemple quelqu’un qu’elle connaît bien: elle-même. A ce titre, son livre, Confessions d’une sociopathe (Larousse), est un événement.
Cette femme de 30 ans, parfaitement intégrée socialement, se serait sans doute épargné cet exercice difficile d’introspection si elle n’avait essuyé une série d’échecs aussi bien professionnels que sentimentaux, en dépit d’une assurance à toute épreuve. Lassée de devoir régulièrement rebâtir de zéro sa carrière et son cercle d’amis, elle a commencé à s’interroger sur ce qui clochait chez elle. Jusqu’au jour où une collègue sensible et attentive lui a demandé, dans le but de l’aider, si elle ne pensait pas être sociopathe. Ce fut le début d’une longue enquête qui l’a notamment menée à créer son blog, Sociopath World (Le monde des sociopathes), destiné à échanger avec ses semblables.
Parce que son témoignage paraît sous un pseudonyme, la jeune femme s’autorise une sincérité absolue dans la retranscription de ses pensées les plus inavouables. Inaccessible au remords, elle dépeint un monde intérieur terrifiant, dont toute émotion est bannie. « Le portrait que l’auteur dresse d’elle-même et le récit de son enfancesont tout à fait cohérents avec ce qu’on sait de la construction psychique et des comportements des manipulateurs destructeurs », confirme la psychologue Yvane Wiart. Les lecteurs y trouveront exposés au grand jour les mécanismes de la manipulation sur lesquels les intéressés gardent habituellement le secret. Dérangeant, mais terriblement instructif.
(1) Le Harcèlement moral. La violence perverse au quotidien, par Marie-France Hirigoyen. La Découverte et Syros (réédité chez Pocket).
