Je sais qu’un jour viendra où plus personne n’aura besoin de moi. Je sais qu’un jour viendra où mes bébés seront partis depuis longtemps, bien occupés dans leurs vies respectives. Peut-être que je serais assise seule, dans une maison de retraite aux murs blanchis, et que je regarderais mon corps s’effacer peu à peu. Alors, plus personne n’aura besoin de moi. Peut-être même que je serais devenue un fardeau. Bien sûr, ils viendront me rendre visite, mais mes bras ne seront plus leur abri. Mes baisers ne seront plus leur réconfort. Il n’y aura plus de boue à enlever de leurs petites bottes, plus de ceintures à boucler. Je n’aurais plus d’histoire à leur raconter avant de dormir. Plus de sacs à remplir de goûters. Je suis sûre qu’alors, mon cœur vieillissant se souviendra avec nostalgie de ces petites voix qui disaient « Maman, quelqu’un a besoin de toi !».

Alors pour l’instant, je trouve de la beauté dans cet instant, quand je lui donne le biberon à 4 heures du matin dans sa petite chambre douillette. Dehors, la neige tombe sans un bruit, et un lièvre fait sa trace sur cette toile parfaite, lisse et blanche. Il n’y a que moi et mon petit bébé, dehors tout est sombre et figé. Nous sommes les seules à être témoins du lever de la lune, pâle, qui fait danser les ombres dans la chambre. Elle et moi sommes les seules à entendre la chouette qui hulule au loin, dans les peupliers. Nous nous enfonçons dans les couvertures, et je la berce pour qu’elle se rendorme. Il est 4heures et je suis épuisée et frustrée, mais tout va bien, elle a besoin de moi. Rien que de moi.

Et peut-être que j’ai besoin d’elle, moi aussi. Parce qu’elle fait de moi une Maman. Un beau jour, elle dormira toute seule pendant toute la nuit. Un beau jour, je serais assise sur une chaise roulante, les bras vides, et je rêverais de ces nuits calmes, de la chouette qui hulule et de la petite chambre rose. Quand elle avait besoin de moi et que nous étions les seules personnes au monde.